Une brume enfumée estompe l’horizon de Calgary. Des feux de forêt sans précédent ont entraîné des niveaux élevés de pollution atmosphérique dans toute l’Alberta et la Colombie-Britannique.
L‘ironie veut que la présente série sur les effets du changement climatique a parfois été retardée en raison de l‘absence de sources essentielles, parties lutter contre ses effets désastreux.
À l‘automne dernier, les experts en climatologie et d‘autres personnes étaient en mode de crise après le passage de l‘ouragan Fiona sur la côte est. Plus récemment, en juillet, les sources de la côte ouest ont lutté contre des feux de forêt d‘une ampleur sans précédent. Cette année, de tels feux se sont embrasés dans tout le Canada.
Au début de juin, plus de terres avaient brûlé dans des feux de forêt qu‘au cours de toutes les années précédentes, et ce, avant même que leur saison habituelle n‘ait commencé.
Comme d‘habitude, l‘Alberta et la Colombie-Britannique (C.-B.) ont connu plus que leur part de destruction. Fin juillet, l‘incendie de Donnie Creek s‘est étendu sur près de 6 000 kilomètres carrés, soit une superficie supérieure à celle de l‘Île-du-Prince-Édouard. Il s‘agit du plus important incendie de l‘histoire de la C.-B. (Les feux de forêt au Québec et dans le nord de l‘Ontario ont également été plus importants que d‘habitude cette année, et la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ont rejoint le club des régions assiégées par des incendies destructeurs.)
De telles scènes de destruction liées au climat sont tristement familières dans l‘Ouest. À la fin de 2020, les précipitations avaient été si intenses à Merritt, en C.-B., qu‘elles ont modifié le cours de la rivière Coldwater qui traverse la ville.
Toujours en C.-B., Lytton a été dévastée par des feux et des inondations en 2021. Toutefois, aucune de ces scènes ne surpasse les vidéos apocalyptiques de personnes fuyant les murs de feuà Fort McMurray, en Alberta, en 2017. Une récente recension du livre de John Vaillant, Fire Weather: A True Story from a Hotter World, publiée dans le magazine New Yorker, décrivait l‘incendie comme étant « assez chaud pour vaporiser des toilettes et plier un lampadaire en deux ».
Selon l‘auteur de la recension,l‘incendie de Fort McMurray a également été « la catastrophe la plus coûteuse de l‘histoire du Canada ». Malheureusement, il semble que cette triste distinctionne se maintiendra pas longtemps dans notre monde de plus en plus chaud.
En attendant, dès cette année, des communautés albertaines comme Edson et le comté de Yellowhead ont été évacuées à plusieurs reprises en raison des menaces qui pèsent sur elles et, au moment de la rédaction de cet article, des brasiers déclenchés en début de saison brûlent encore en C.-B.
Le gouvernement de la C.-B. combat les incendies avec plus de fonds. Le budget provincial 2022 a annoncé un nouveau financement d‘environ 350 millions de dollars pour le B.C. Wildfire Service (BCWS), désormais en fonction toute l‘année. Dans son budget 2023, le gouvernement a également réservé plus d‘un milliard de dollars de fonds pour lutter contre le changement climatique qui contribue à la menace croissante des incendies.
Les méthodes de lutte contre les incendies ont également changé.
« Ce qui a changé, c’est la taille des incendies et la façon dont nous les combattons », explique David Greer, directeur de l’engagement stratégique et des partenariats au BCWS, qui a passé 12 ans sur le terrain à lutter contre les feux de forêt. « Les choses étaient très différentes », se souvient-il.
Dans les années 1990 et 2000, ily avait moins de brûlage dirigé, une pratique de lutte contre les feux par le feu que les peuples autochtones utilisent depuis des générations. « De nos jours, on y a recours beaucoup plus... ainsi, les feux qui se déclarent ont moins de vigueur. »
Les équipes se consacrent également bien plus à rendre les forêts « plus résistantes aux futurs feux », enchaîne-t-il, par exemple en évitant la monoculture lors de la replantation et en incluant une flore plus résistante au feu.
« Notre opération s’est considérablement développée dans les domaines de l’atténuation, de la prévention et de la restauration », ajoute-t-il. L’impact social, culturel et financier des incendies ne cessant de croître, ces mesures prennent plus d’importance.
« Un incendie de forêt n’est pas un problème isolé, il touche tous les aspects de votre vie », rappelle M. Greer.
Lorsqu’une chape de fumée épaisse recouvre les villes et d’autres communautés, la proximité ne représente plus le danger.
« Au cours des dix ou quinze dernières années, l’augmentation de la fréquence des feux de forêt a nui à la qualité de l’air », déclare Dennis Herod, gestionnaire de données au sein du Réseau national de surveillance de la pollution atmosphérique, un partenariat entre Environnement Canada et l’ensemble des provinces et des territoires. « Comme vous
l’avez probablement constaté lors des incendies les plus récents, la fumée peut parcourir des milliers de kilomètres. »
Vancouver et d’autres centres peuvent suffoquer sous la fumée provenant de feux d'ailleurs, de l’État de Washington, de l’Orégon ou de la Californie, voire de la Russie.
Les particules en suspension dans la fumée constituent la menace.
« Elles sont minuscules. Elles peuvent pénétrer profondément dans les poumons et même dans le sang. Lors de feux de forêt, des études ont montré une forte augmentation des visites à l’hôpital et des cas d’asthme et d’autres troubles respiratoires », explique M. Herod.
Autre tendance inquiétante, le risque augmente à mesure que les incendies de forêt se rapprochent des zones urbaines. Les personnes âgées sont les plus vulnérables, en particulier lorsque la fumée se combine à des températures élevées, à l’instar du « dôme de chaleur » qui a tué des centaines de personnes en C.-B. en 2021.
Le gouvernement de la C.-B. a récemment annoncé un programme de 10 millions de dollars pour l’achat de 8 000 climatiseurs destinés aux personnes vulnérables et à faible revenu.
M. Herod souligne que Santé Canada émet également des avertissementsde chaleur qui sont utiles aux personnes âgées et à celles qui souffrent de troubles respiratoires ou cardiovasculaires préexistants. « Les avertissements de chaleur sont conçus pour aider les gens à planifier leurs activités et à les limiter lorsque les conditions présentent des risques plus élevés. »
Cette combinaison de feux de forêt et de hausse générale des températures constitue une double menace pour les industries emblématiques de la C.-B. et de l‘Alberta. En C.-B., les feux de forêt menacent l‘industrie du bois et la fumée nuit à l‘industrie vinicole. En Alberta, ils contribuent à l‘apparition précoce de sauterelles en plus grand nombre, qui consomment un fort volume de récoltes agricoles. « Cette année, quand ce n‘est pas une chose, c‘en est une autre », a déclaré un agriculteur albertain à la CBC d‘Edmonton.
Cela crée une réaction en chaîne qui se répercute sur toute l‘industrie bovine de la province.
« Nos bovins ont besoin de manger. Donc, entre l‘herbe pour les pâturages, le foin et l‘ensilage, et les cultures céréalières pour l‘alimentation, ce secteur a vraiment un impact sur le nôtre », explique Karin Schmid, directrice de la production et du rayonnement chez Alberta Beef Producers. « S‘il n‘ya pas assez de ressources pour les nourrir, c‘est un défi important pour nous », confirme-t-elle, ajoutant que l‘approvisionnement en eau constitue également une source d‘inquiétude.
« Dans certaines régions de la province, ça va probablement bien, dans d‘autres, c‘est très sec. Je m‘inquiète de ce qui se passera cette année et les années suivantes, car nous comptons beaucoup sur le manteau neigeux et le ruissellement de la fonte des neiges pour remplir les fosses d‘abreuvement du bétail et pour réhumidifier le sol. Sans ce ruissellement au printemps, s‘il n‘y a pas eu beaucoup de neige, alors les pluies du printemps deviennent encore plus importantes. »
Les agriculteurs sont parfaitement conscients de leur rôle dans la protection de l‘environnement, affirme Mme Schmid. La production de viande bovine représente 2,4 % des émissions de gaz à effet de serre à l‘échelle du Canada. Elle souligne que, au cours des 30 dernières années, les agriculteurs ont réduit leurs émissions de 15 %, tout en produisant la même quantité de viande bovine, et en utilisant 17 % d‘eau en moins et 24 % de terres en moins.
Et ce n‘est pas tout, enchaîne-t-elle.
« Nous constatons une grande évolution dans la manière dont les agriculteurs et les éleveurs tentent de gérer la terre pour eux-mêmes, mais aussi pour les générations futures. Une grande partie de cette évolution consiste à apprendre à gérer certains des impacts climatiques. »
Les dommages causés par les feux de forêt et les autres effets du changement climatique atteignent l’océan Pacifique, menaçant la vie marine. Les maladies de la peau touchant les orques au large des côtes de la Colombie-Britannique peuvent être le résultat du réchauffement des eaux.
Sauver les animaux marins... et nous-mêmes
Les dommages causés par les feux de forêt et d‘autres effets du changement climatique s‘étendent des forêts aux cours d‘eau et à l‘océan Pacifique, menaçant certaines des espèces sauvages les plus emblématiques de l‘Ouest.
Des experts du Center for Whale Research, un organisme à but non lucractif américain, ont déclaré dans des reportages récents à des journalistes que les maladies de peau affectant les épaulards résidents au large de la côte de la Colombie-Britannique (C.-B.) pourraient être causées par le réchauffement des eaux, les projets de pipeline dans la région, la pollution agricole et la diminution des sources de nourriture pour le saumon chinook.
Selon Jay Ritchlin, directeur général de la Fondation David Suzuki pour la C.-B. et l‘ouest du pays, ces saumons sont directement touchés par les feux de forêt. Les feux provoquent des ruissellements qui endommagent les frayères des saumons, qui souffrent des mêmes augmentations de température que les épaulards.
« À elle seule, la température del‘eau rend le saumon beaucoup plus sensible aux maladies, ce qui rend très difficile la survie et le rétablissement de ces saumons emblématiques, même après avoir réduit la pression de la pêche et essayé d‘améliorer l‘habitat », explique M. Ritchlin.
Selon M. Ritchlin, la vague de chaleur qui a tué de nombreuses personnes en C.-B. a également tué des millions de créatures marines et menace le secteur de l‘aquaculture, également menacé par l‘augmentation des niveaux d‘acidité dans l‘océan qui empêchent les coquillages de former leur carapace protectrice.
M. Ritchlin sait qu‘il est « très difficile de parler de la culpabilité humaine dans ce domaine, alors que de nombreux êtres humains sont en danger de mort ».
Il ajoute pourtant que « nous devons avant tout réduire les combustibles fossiles. Nous ne pouvons pas cesser d‘en parler ».
« Les personnes qui travaillent dans l‘industrie du pétrole et du gaz seront tout aussi touchées et leurs emplois deviendront superflus, qu‘il faille encore trois ou quatre catastrophes, ou 10 ans ou 40 ans, pour en arriver là. Ce qu‘il faut, c‘est travailler ensemble pour trouver des solutions. »
Les travailleurs âgés devraient toucher des pensions, « pour pouvoir prendre leur retraite et vivre en bonne santé », tandis qu‘on pourrait aider les autres à se recycler sur le plan professionnel et à trouver de nouvelles carrières.
Nous devons faire en sorte que cette économie ne produise plus d‘émissions de gaz à effet de serre et nous devons prendre soin de tout le monde. »