Laurie White était une jeune agente de la GRC quand une balle tirée par un pédophile présumé lui a arraché la jambe. Elle a survécu et s’est épanouie depuis. Photo : Jesse Pound (photographe); Jenn Pound et Rachel Powell (stylistes)
Parfois, un miracle rassemble les familles à Noël. Parfois, c’est un cauchemar.
À 28 ans, Laurie White ne souhaitait qu’une chose pour Noël : le passer avec sa famille à Brockville, en Ontario. Manquant d’ancienneté, la jeune agente de la GRC établie à Kitimat, en C.-B., avait planifié ses congés pour le début du mois de décembre afin d’aller voir sa famille. Au matin du 27 novembre 1998, elle ne pensait qu’à cela. C’était une journée comme les autres, peut-être un peu plus occupée à cause de cette période chargée d’avant les fêtes. Puis, tout s’est assombri et une balle a changé sa vie à jamais.
Mme White avait intégré la GRC deux ans plus tôt. Titulaire d’un diplôme en éducation physique de l’Université Brock et d’une maîtrise de l’Université d’Ottawa, elle a travaillé comme enseignante suppléante, instructrice de patinage artistique et entraîneuse d’aérobie, mais avait du mal à trouver un emploi stable et à poursuivre une carrière. Une amie lui a suggéré la GRC et, rapidement, la sergente White a reçu sa première affectation, à Kitimat.
« Je n’avais aucune idée de l’endroit où ça se trouvait. J’ai dû chercher sur une carte. »
En poste depuis un peu plus de deux ans, elle enquêtait sur un pédophile présumé. « J’avais hâte de boucler ce dossier » avant « les retrouvailles en famille » à Brockville, raconte-t-elle. Et c’est ainsi que, en ce jour de novembre, elle s’est rendue en voiture, avec deux collègues, mandat d’arrêt en main, jusqu’à la maison en rangée du contrevenant présumé.
Vingt-quatre ans du tard, les détails restent gravés dans sa mémoire. Le temps était frais et ensoleillé. De jeunes enfants jouaient dans l’espace vert de la maison en rangée. Les trois agents se sont approchés avec prudence de l’unité mentionnée sur le mandat.
« Je me tenais à droite de la porte, sous l’espace de stationnement, un de mes partenaires était à gauche de la porte, le troisième était à l’arrière. Personne n’a répondu lorsque nous avons frappé à la porte. Nous n’étions pas sûrs qu’il soit là », explique-t-elle.
« Tout à coup, j’ai entendu un bruit violent. Mes oreilles ont commencé à siffler vraiment fort et je n’entendais plus rien. J’ai vu un trou dans la porte blanche et j’ai reconnu l’odeur de la poudre, j’avais le goût de résidu et de particules de poudre dans la bouche. J’ai ensuite baissé la tête et j’ai vu de la fumée qui sortait de ma jambe. J’ai alors réalisé qu’on m’avait tiré dessus. »
Le pédophile avait tiré une balle de calibre .303 à travers la porte avec un fusil à canon scié. « Ce genre de balle, quand ça touche une surface dure, comme mon tibia, ça crée un effet champignon. Elle a donc emporté la majeure partie de mon mollet avec elle, précise-t-elle. Elle a brisé les deux os du bas de la jambe, puis est ressortie derrière en arrachant au passage les muscles du mollet et tous les tissus alentour. »
Elle n’avait aucune idée de l’étendue de sa blessure et ne ressentait aucune douleur au début lorsque son partenaire « m’a saisie par le col et la ceinture, pour me traîner derrière un véhicule tout près et me sortir de la ligne de tir ». Il a annoncé « 10-33 » par radio, ce qui signifie qu’un agent est à terre.
Les ambulanciers sont arrivés et « à pied, en courant, sans brancard ou quoi que ce soit, juste pour m’évacuer rapidement. L’un d’eux m’a saisi sous les genoux et l’autre sous les aisselles. Je me souviens que, lorsqu’ils ont sauté au-dessus de cet énorme fossé, ma jambe pendait ».
Avant de perdre conscience, en état de choc, à l’hôpital local, « je me souviens qu’ils coupaient mes vêtements, qu’ils organisaient une évacuation médicale et qu’ils demandaient les numéros de téléphone de mes parents.
« Une personne m’a dit dans la salle d’urgence : “Laurie, as-tu un dernier mot avant de mourir?” Je me souviens d’avoir tâté mon torse et mon ventre et de m’être demandé : “Est-ce que j’ai été touchée ailleurs et que je ne me rends tout simplement pas compte que je suis en train de mourir?” J’essayais à tout prix de ne pas fermer les yeux, j’avais peur de ne jamais les rouvrir. »
Transportée à l’Hôpital général de Vancouver, elle y a ouvert les yeux après huit heures de chirurgie et un grand nombre de transfusions sanguines. Sa jambe avait été amputée sous le genou.
« Je n’arrivais même pas à comprendre ce que ça signifiait », précise Mme White, qui a récemment publié un livre sur son calvaire. « J’étais bouleversée, je n’arrivais pas à y croire et j’ai mis plusieurs jours avant de pouvoir jeter un oeil à ce qui restait de ma jambe. J’en étais incapable. Tout ce pour quoi j’avais travaillé, tout ce pour quoi je m’étais entraînée professionnellement… tout ça, c’était fini. »
C’est alors qu’a commencé une longue série de chirurgies réparatrices et de séances de rééducation, et qu’elle a soudainement réalisé qu’il ne lui suffirait pas de mettre une jambe artificielle et de réapprendre à marcher.
« Je voulais réapprendre à faire du patin à glace, du vélo et du patin à roulettes et toutes les choses que j’avais l’habitude de faire avant. Ce que je n’avais pas réalisé, ce qu’il fallait que je réapprenne absolument tout et que tout n’allait pas redevenir comme avant, une fois que j’aurais réappris à marcher. »
Fait remarquable, à peine un an plus tard et après une série d’examens rigoureux par la GRC, elle était de retour à Kitimat pour faire « exactement le même travail qu’avant ». D’après ce qu’on lui a dit à l’époque, elle fut la première personne dotée d’une jambe artificielle à reprendre du service au sein des forces de police, sans aucune restriction.
Elle a fini par devoir réduire la cadence, mais s’est épanouie. Elle a eu deux enfants, aujourd’hui adolescents, a déménagé à Vancouver et a travaillé dans la sécurité pour les Jeux paralympiques de 2010, une expérience mémorable. Tout au long de son parcours, elle a reçu le soutien d’Anciens Combattants Canada, notamment une thérapie, et touche, depuis son départ à la retraite en 2020, une prestation pour des soins médicaux liés à sa blessure infligée au travail.
« Je leur suis redevable pour tout leur soutien au fil des ans, car ils m’ont beaucoup aidée », observe-t-elle.
L’année dernière, elle a publié son livre intitulé 10-33: An Officer Down Steps Back Up. « Ça me fait encore un choc de temps de temps, confie-t-elle, même si ça fait si longtemps », ajoutant que de nombreuses vies ont été bouleversées ce jour-là. Son assaillant s’est donné la mort après un affrontement de 10 heures avec la police. Après ses premières semaines à l’hôpital, Mme White a pu s’envoler pour Brockville, « pour me retrouver en famille pour un Noël très bizarre.
J’ai donc eu congé à Noël cette année-là, même si ce n’était pas prévu. »