En plus d’être calme et apaisante, la vie au chalet les expose beaucoup moins à la COVID-19. Bon nombre d’entre eux s’installent en permanence à leur résidence estivale.
Maggie Munoz n’avait que cinq ans lorsque sa mère l’a retirée de la maternelle pour se rendre au chalet familial au lac Huron.
C’était en 1955. Une épidémie de polio faisait rage en Ontario, et une école de Toronto n’était pas un endroit idéal pour un jeune enfant, alors qu’un virus contagieux circulait dans la communauté.
« Il y avait d’autres enfants dont les familles venaient aussi de Toronto », se souvient Mme Munoz. « Je me souviens que nous devions être très prudents à la plage. Nous savions que nous n’allions pas revenir à l’école avant le congé de l’Action de grâces cette année-là. Nous avons passé quatre mois et demi là-bas. »
Soixante-cinq ans plus tard, l’histoire se répète. Alors que la pandémie de COVID-19 bouleversait le quotidien, elle et son mari Gus ont quitté leur appartement de Waterloo, en Ontario, pour se rendre au même chalet au lac Huron. En temps normal, ils partagent leur temps entre les deux durant l’été. Avec une vie sociale bien remplie de barbecues, de cinq à sept, de conférenciers invités et de parties de cartes dans leur immeuble de copropriété, ces deux retraités avaient de nombreuses raisons de rester aussi à Waterloo.
« Depuis la COVID-19, rien ne nous retenait ici. Alors, essentiellement, nous avons déménagé au chalet et y sommes restés », dit Mme Munoz, qui, avec son mari, Gus, a adhéré à l’Association nationale des retraités fédéraux en 2014. L’année dernière, ils ont passé huit mois au lac, jusque pendant novembre. Après avoir passé l’hiver à la maison, ils se sont de nouveau installés au chalet à la fin du mois de mars.
Dans une copropriété, rappelle Mme Munoz, il leur est impossible de sortir par la porte arrière, de s’asseoir dans le jardin ou d’observer les oiseaux. Ils doivent plutôt emprunter un ascenseur et se déplacer sur des trottoirs très fréquentés avec un déambulateur, ce qui est loin d’être idéal en cas de pandémie.
Leur chalet, par contre, est certainement idéal. C’est un refuge sûr, un endroit où elle vient depuis qu’elle était un bébé de trois mois. Et, même sans les barbecues ou les tournois de golf habituels, sans oublier que le social se résume à saluer de la main les autres personnes qui se promènent sur la plage, Mme Munoz affirme que le simple fait de voir ses amis à distance, dont elle connaît certains depuis la 3e année, et de savoir que quelqu’un d’autre pense à vous, a contribué à réduire l’isolement.
« J’ai aimé cet endroit toute ma vie », dit-elle. « Être près de l’eau est très important pour moi. C’est vraiment paisible. »
Leur fils vit à Vancouver et leur a fait comprendre qu’ils ne devaient pas s’y rendre tant que la pandémie n’aura pris fin. Leurs autres destinations de vacances sont également à proscrire, selon Mme Munoz.
« Aussi bien rester dans notre havre de bonheur. »
Prise par un drone, cette photo du chalet des Munoz le montre dans toute sa splendeur estivale.
Vivre au chalet devient tendance
Dans tout le pays, les retraités ont afflué dans leurs chalets pour éviter la pandémie, tandis que d’innombrables autres se sont affairés à trouver un refuge loin de la maison.
« D’un océan à l’autre, la délimitation entre la résidence principale et la propriété de loisirs s’estompe », explique Phil Soper, président et DG de Royal LePage. « La tendance a commencé l’été dernier, lorsque la possibilité de voyager à l’étranger a été supprimée. »
Les prévisions sur le prix des propriétés récréatives du printemps 2021 de Royal LePage prévoient que le prix global d’une maison dans les régions récréatives du Canada augmentera de 15 % cette année, pour atteindre 502 730 $, car la demande continue de dépasser rapidement l’offre.
Les marchés de la propriété récréative de l’Ontario et du Canada atlantique devraient connaître les gains les plus élevés, avec une hausse de 17 %, tandis que les marchés récréatifs du Québec et de la Colombie-Britannique devraient augmenter de 15 % et 13 %, respectivement.
« Depuis 50 ans que je fais ce métier, je n’ai jamais rien vu de tel », déclare Rich Osborne, président de LandQuest Realty à New Westminster, en Colombie-Britannique.
« La donne est complètement changée. »
L’agent immobilier Rich Osborne a récemment vendu cette propriété, située sur l’île Sidney, en Colombie-Britannique illustrée dans cette photo. Le mari est cadre d’entreprise et la femme est enseignante, et tous deux étaient à la recherche d’une retraite tranquille. Photo : Rob Parsons Construction
Il y a un an, son entreprise, qui se concentre sur le marché immobilier rural, enregistrait en moyenne 2 000 visites par jour sur son site Web. Aujourd’hui, elle en reçoit 4 500. Sur l’île Sidney, entre le continent et l’île de Vancouver, il vendait normalement trois ou quatre propriétés par an. L’année dernière, il en a vendu 20. Le dénominateur commun? Les gens fuient les grandes villes. M. Osborne vient de vendre un ranch à une femme de l’Ontario. L’ayant vu en ligne, elle a sauté dans un avion et l’a acheté.
« Ils viennent d’un peu partout. C’est assez universel. Ici, le marché est fort partout. Les gens veulent un endroit où se réfugier. »
Sur la rive sud de la Nouvelle-Écosse, l’agente immobilière Bobbi Maxwell affirme que 80 % de ses acheteurs viennent d’autres provinces et que beaucoup achètent une propriété sans l’avoir vue.
« Je n’ai pas physiquement montré une propriété à des gens de l’Ontario parce qu’ils n’ont pas pu venir ici », dit-elle, soulignant que beaucoup plus d’acheteurs viennent d’aussi loin à l’ouest que la Colombie-Britannique. « Mais 60 % de mes acheteurs viennent de là maintenant. Ils vendent tout, prennent leur retraite et vivent leur rêve. »
Après 20 ans d’absence, elle est revenue dans la province en 1994 et en constate l’attrait pour les autres. Les hivers deviennent plus cléments, il y a des plages de sable blanc et l’eau est souvent bleue comme dans les Caraïbes. Le rythme est plus lent et on en a plus pour son argent sur le plan immobilier.
« Ici, j’ai l’impression d’être en vacances toute l’année », dit Mme Maxwell. « C’est pourquoi les gens veulent prendre leur retraite ici. »
Au lieu de la côte Ouest, la retraite a attiré Dan Strasbourg au nord, à Kirkland Lake, en Ontario, où il a grandi.
« Quand j’étais enfant, j’avais hâte de quitter le nord de l’Ontario, parce que je n’appréciais pas à l’époque la beauté, la tranquillité, la paix ou le fait de voir les étoiles la nuit », dit-il.
Mais après avoir passé sa carrière à travailler à Toronto, il a pris sa retraite en 2018 et a déménagé chez lui pour se rapprocher de sa famille et de ses amis qu’il connaissait depuis son enfance. « J’en avais vraiment assez de passer mes journées dans un bureau. La ville avait rempli son rôle. »
Il a acheté son chalet hors réseau au nord de la ville cet automne-là, mais ne l’a pas ouvert l’été suivant, car il avait dû faire admettre sa mère dans un établissement de soins de longue durée. Mais l’année dernière, pendant la pandémie? « J’y ai passé tout l’été et c’était le paradis. Je ne voulais pas partir. »
Si le chalet avait été aménagé pour l’hiver, il serait resté, se contentant de la compagnie des écureuils et des geais bleus. Ce n’est pas qu’il n’aime pas les gens. En 2009, il a contracté le virus H1N1 et a failli mourir d’une insuffisance cardiaque congestive.
Il vit désormais avec une maladie cardiaque chronique, et la COVID-19 représente donc un risque réel.
« Je me sens chanceux d’avoir un chalet où aller et de ne pas m’inquiéter de tomber sur des gens », dit-il. « Je me sentais libre là-bas. Non seulement cela m’a aidé à tenir l’infection à distance, mais j’ai pu profiter de la vie. Je n’étais pas obligé de rester à l’intérieur. De bien des façons, [j’ai] pu échapper à la pandémie. »
Mme Lafrenière-Noël va souvent à la pêche sur le lac Nipissing, près de son chalet.
Pour Carole Lafrenière-Noël, cette année a également permis de boucler la boucle. Elle a grandi en jouant avec ses cousins au chalet familial au lac Nipissing, près de Sturgeon Falls, en Ontario. Elle a passé l’année dernière exactement de cette façon. En tout, elle a 25 cousins qui ont des maisons et des chalets au lac. « Je n’ai même pas besoin de chercher à m’amuser. Le divertissement me trouve. »
Même si elle a vécu et travaillé à Ottawa pendant 40 ans, le chalet est resté un élément incontournable de sa vie. L’hiver dernier, cependant, a été le premier qu’elle y passait. Elle pensait qu’il serait froid et gris, mais en plus de la pêche et de la raquette, une nouvelle motoneige achetée par son mari leur a permis de rester dehors et d’explorer des endroits qu’ils ne pourraient jamais atteindre en bateau. Elle est convaincue que ce plaisir le rajeunit.
« Quand on joue ensemble comme des enfants, on reste des enfants », dit
Mme Lafrenière-Noël à propos de ses proches. « Nous étions prudents. Nous rencontrions des gens dehors. Les gens étaient préoccupés par la COVID-19, mais pas stressés comme dans les grandes villes. »
Elle pense que c’est la raison pour laquelle tant de gens s’installent au chalet ou en achètent un pour s’y réfugier. « À leur départ à la retraite, les gens reviennent à leurs racines, ils reprennent contact.
Dans une petite ville comme celle-ci, on retrouve rapidement ses camarades de l’école secondaire. »
Membre de l’Association depuis 2019, Mme Lafrenière-Noël a passé sa carrière à travailler dans les communications pour le gouvernement fédéral, Aujourd’hui, à
la retraite, elle fait du bénévolat pour le comité de développement économique de Sturgeon Falls. Ces dernières années, la ville s’est efforcée de se commercialiser comme étant une bourgade-dortoir, courtisant les aînés et les retraités pour les encourager à déménager dans la région.
Également retraitée fédérale, la maire de West Nipissing, Joanne Savage, dit que la ville a récolté les fruits de ces efforts au cours de la dernière année, car en plus des gens qui achètent des maisons, elle a constaté une tendance des propriétaires de chalets à revenir et à y résider toute l’année. Située à seulement quatre heures de Toronto, et dotée de bonnes autoroutes et d’Internet haute vitesse, la région dispose d’hôpitaux, d’établissements de soins, de magasins, ainsi que d’un faible coût de la vie. Et elle offre un accès à toutes les activités de plein air imaginables dans les bois et sur l’eau.
« Notre emplacement est tellement idéal. Nous avons de magnifiques joyaux dans notre jardin », déclare Mme Savage. « Pour ce qui est de l’équilibre, on ne peut demander un meilleur endroit. »
Personne n’a besoin de convaincre Mme Lafrenière-Noël. Ces jours-ci, elle et son mari reviennent à Ottawa pour faire des courses et consulter le médecin, puis se précipitent de nouveau au lac. Elle pense que cela ne changera pas de sitôt.
« Notre maison sera abandonnée, mais c’est ainsi ». Ils avaient aussi l’habitude de se render dans le sud pour l’hiver, mais elle s’attend désormais à voyager quelques semaines à l’automne, puis à passer le reste de l’année au chalet. Pour elle, cela conjugue un sentiment et un mode de vie.
« Une fois que vous aimez le lac, il fait partie de votre identité », dit Mme Lafrenière-Noël.
« Nous n’avons pas besion d’aller au Costa Rica. Nous avons ce qu’il nous faut ici, chex nous. »