Les Canadiens peuvent désormais choisir de mourir, à condition de souffrir d’un « problème de santé grave et irrémédiable » qui cause un déclin des capacités et des souffrances intolérables. Mais la législation comporte toujours des brèches.
Une question revient toujours dans les demandes sur l’aide médicale à mourir (AMM) adressées à Stefanie Green : Comment les patients atteints de démence peuvent-ils obtenir légalement de l’aide pour mettre fin à leur vie?
« Et aussi si l’assurance-vie est touchée », lance la médecin, dont le livre This Is Assisted Dying est devenu un succès de librairie au Canada dès sa première semaine de vente lors de sa sortie en mars et doit être publié sous un autre titre en Australie et en Nouvelle-Zélande. « Pour répondre rapidement à cette question, l’assurance-vie n’est pas concernée. »
Quant à la première question, eh bien, une mise en contexte s’impose.
En 2015, la Cour suprême du Canada a déterminé que l’interdiction générale de la mort assistée en vertu du Code criminel du Canada portait atteinte aux droits de la personne, la jugeant inconstitutionnelle. Ce faisant, elle ouvrait la porte à l’AMM au pays. L’année suivante, le gouvernement fédéral a accordé des exemptions de poursuites pénales aux médecins et aux infirmières praticiennes qui offrent l’AMM. Même si on peut boire soi-même une solution barbiturique prescrite, au Canada, la majorité des décès associés à l’AMM sont administrés par injection par un médecin.
En 2020 — dernières données disponibles —, 7 595 cas d’AMM ont été signalés, soit 2,5 % de tous les décès au Canada. Un rapport de Santé Canada fait état d’un total de 21 589 de décès assistés médicalement depuis l’adoption de la loi jusqu’à la fin de 2020.
Lorsque la Dre Green a commencé à fournir l’AMM peu après sa légalisation au Canada en 2016, seulement 11 administrations dans le monde — dont cinq États américains — l’avaient légalisée. Aujourd’hui, 25 l’ont fait. Très différente de celles des États-Unis, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et de l’Autriche, l’approche du Canada est similaire à celle de la Belgique ainsi qu’à celle des Pays-Bas, qui a servi de modèle à la législation canadienne. La Suisse se distingue, car son approche permet aux personnes d’autres pays de venir accéder à l’AMM. Certains Canadiens l’ont fait avant que cela ne soit autorisé ici.
Au Canada, le processus commence par une demande écrite, suivie d’évaluations indépendantes de deux médecins différents.
« Pour un médecin, l’expérience est très intense », explique Brian Morris, un médecin de famille à la retraite qui travaille maintenant dans le domaine des soins palliatifs et de l’AMM, et qui assume la direction médicale d’Hospice Simcoe à Barrie, en Ontario. « Avant la COVID-19, j’ai administré l’AMM en présence de 40 personnes, avec des verres de champagne, des toasts, des larmes, des rires, des chansons, des prières, des petits discours et des poèmes récités. Le tout, orchestré pour que les circonstances de la mort soient pertinentes, profondes et riches pour tout le monde. Triste, bien sûr, mais toujours une expérience profonde et riche, planifiée autant qu’une personne peut le vouloir. »
Toutes avaient décidé que le dernier chapitre de leur vie touchait à sa fin. Après les deux évaluations réalisées par deux médecins différents pour veiller au respect de tous les critères, le consentement final est donné. Ensuite, la première injection administre un somnifère. Environ 10 minutes plus tard, elle est généralement suivie d’une seconde injection d’un anesthésique utilisé dans les coloscopies, mais dix fois plus puissant. Il détend les muscles, fait baisser la tension artérielle, et « les muscles respiratoires sont tellement détendus qu’ils s’arrêtent. Et lorsque la respiration s’arrête, le cœur s’arrête très rapidement », explique le Dr Morris. Un troisième médicament peut également être utilisé pour stopper le fonctionnement de tous les muscles.
D’après l’expérience du Dr Morris, le contrôle est le principal facteur sous-jacent. Une personne atteinte d’un cancer n’a jamais eu le choix de ce diagnostic. Mais dans certaines situations, elle peut décider du cours de sa vie, ou plutôt de la fin de sa vie.
« Avec l’AMM, cette personne peut choisir la date, le lieu et les circonstances de son décès... Elle ne peut rien contrôler d’autre au sujet de sa maladie », explique le Dr Morris qui, sans les avoir comptées, estime avoir administré une centaine d’AMM au cours des six années d’existence de la méthode.
« Si vous assistiez à l’intervention, vous verriez la personne fermer les yeux, ouvrir la bouche, peut-être ronfler un peu, et les muscles du visage se détendre avec le premier médicament. Avec le deuxième médicament, le thorax se soulève et s’abaisse, puis ne bouge plus. Et c’est tout. C’est tout ce que vous verriez. Il n’y a pas de convulsion, pas de perte de contrôle des intestins ou de la vessie, pas de halètement ou de reniflement ou quoi que ce soit d’autre, dans tous les cas que j’ai traités. C’est un moment très paisible, très calme. »
La législation qui définit les paramètres d’administration de l’AMM continue d’évoluer, mais jusqu’à présent, les Canadiens ne peuvent pas la demander à l’avance. Cela, selon la Dre Green, cofondatrice et présidente actuelle de l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM, constitue un problème pour les personnes en déclin cognitif ainsi que pour les médecins qui, comme elle, aident les gens qui souhaitent mettre fin à leur vie. C’est le phénomène qu’elle appelle « minuit moins dix », où les médecins doivent guetter le moment où une personne respecte deux critères : être dans un état de déclin grave et irréversible, mais avoir encore la faculté de comprendre exactement ce qu’elle demande au moment de l’intervention.
Pour Norm, le mari de Lucile McGregor, minuit a sonné durant les six jours écoulés entre l’approbation de sa demande d’AMM et le moment venu.
Cette conseillère sur le processus parlementaire pour la Chambre des communes désormais retraitée faisait partie d’un groupe de personnes qui s’étaient rassemblées auprès de son frère lorsqu’il a obtenu l’AMM en 2017 après avoir été frappé d’incapacité par une démence fronto-temporale et une paralysie supranucléaire progressive. Elle qualifie l’événement de « très paisible, très calme à bien des égards ».
La famille et les amis se sont réunis dans sa chambre au foyer de retraités où il vivait depuis deux ans et lui ont fait leurs adieux après qu’il ait donné son dernier consentement. « Ils avaient un grand sac contenant tout ce dont on a besoin pour un long voyage », se souvient-elle. La première injection l’a endormi. Quelques minutes plus tard, la deuxième a mis fin à sa vie.
Plus tard la même année, son mari a reçu un diagnostic de cancer des canaux biliaires, qu’elle décrit comme toujours fatal. Malgré la chimiothérapie, il était tombé gravement malade au printemps. Le jour de son anniversaire, le 8 juillet, il s’est réveillé dans sa maison d’Ottawa tremblant, agité et avec une forte fièvre, et s’est présenté à l’hôpital. Quatre jours plus tard, il était aux soins palliatifs.
« Il était très lucide. Il se sentait horriblement mal. Il en a eu assez, simplement », décrit Mme McGregor.
Après les deux évaluations médicales, sa demande d’AMM avait été approuvée et devait avoir lieu la semaine suivante, le 30 juillet. Mais, le jour venu, il n’était plus considéré comme compétent et l’intervention fut interdite. « Ce matin-là, quand je suis arrivée, les médecins m’ont dit qu’il n’était plus lucide. Il est mort le lendemain matin. »
Toutefois, la législation sur l’AMM au Canada est fluide et a été modifiée depuis son adoption. Elle est susceptible de subir d’autres changements. Et, dans le cas de l’AMM, les roues de la justice semblent tourner le plus vite possible.
Spécialiste du droit de la santé, l’avocat montréalais Jean-François Leroux était co-procureur dans le procès intenté par Nicole Gladu et Jean Truchon en 2019, dans lequel il a réussi à faire valoir que l’exigence d’une mort raisonnablement prévisible pour avoir obtenir l’AMM violait leurs droits.
Après la décision du tribunal, les dispositions ont été modifiées en 2021. Même si une personne qui n’est pas mourante peut maintenant obtenir l’AMM, les critères sont plus stricts. Il faut l’informer de tous les moyens de soulager ses souffrances et lui offrir de l’aide.
Me Leroux s’attend à ce qu’il y ait d’autres assouplissements des restrictions. Outre la possibilité pour les personnes atteintes d’affections neurologiques de demander l’AMM longtemps d’avance, alors qu’elles en ont encore la capacité, il reste la question des personnes souffrant de troubles mentaux qui veulent l’obtenir.
« Normalement, la loi change très lentement. Mais ici, il s’agit d’un bon exemple de cas où la loi essaie de suivre les valeurs de notre société et où, pour certaines personnes, elle change trop rapidement », explique Me Leroux.
Le projet de loi C-7 exigeait des ministres de la Santé et de la Justice qu’ils mènent une étude indépendante, afin d’examiner la possibilité d’autoriser les patients dont le seul problème médical est une maladie mentale à demander l’AMM. En mai dernier, le rapport Rapport final du Groupe d’experts sur l’AMM et la maladie mentale a été publié. Mais l’exclusion des patients atteints de maladie mentale sera automatiquement levée le 17 mars 2023, ce qui signifie qu’ils pourront demander l’AMM dans moins d’un an. Le comité mixte spécial sur l’AMM devrait également présenter un rapport au gouvernement cet automne, sur la possibilité d’autoriser les mineurs matures à demander l’AMM et sur la question de la demande préalable.
« Nous pourrions voir des mineurs matures accéder à la mort assistée dans ce pays, nous pourrions voir des demandes préalables possibles… Je serais surprise si cela se produisait, même si je sais que les Canadiens le souhaitent », déclare la Dre Green, qui est considérée comme une pionnière dans le domaine. « Au pays, ces [changements] seront débattus au cours des cinq prochaines années environ. »
Pour en savoir plus sur les dispositions qui touchent l’AMM au Canada, consultez le site web.
Les deux médecins doivent convenir que la personne respecte les critères d’admissibilité légaux. À l’heure actuelle, voici ce que cela signifie :
- La personne doit avoir la capacité de faire la demande et de donner un consentement éclairé.
- La demande doit être volontaire.
- La personne doit être d’âge adulte, résider dans une province ou un territoire et bénéficier des soins de santé.
- Elle doit être atteinte d’une affection grave et irrémédiable qui entraîne un déclin notable et irréversible de ses capacités et une souffrance intolérable. Cette souffrance peut être la peur, la douleur et l’incapacité de faire des choses ou d’accomplir des tâches qui étaient autrefois importantes pour elle.
- Elle doit être admissible à des soins de santé financés par l’État canadien. Les visiteurs d’autres pays ne peuvent se prévaloir de l’AMM.