Nous avons tous de nombreux actifs en ligne auxquels nous ne songeons probablement pas et auxquels nos proches devront accéder à notre décès. Voici comment les aider.
Notre existence est devenue en grande partie intangible et virtuelle. Nous publions des souvenirs sur Facebook, Instagram et d’autres plateformes de médias sociaux. Bon nombre de nos photos, vidéos, morceaux de musique et jeux sont stockés quelque part dans le nuage, souvent en échange de frais mensuels prélevés automatiquement de comptes bancaires ou de cartes de crédit.
Sans oublier les systèmes de points de compagnies aériennes, les abonnements et les entreprises en ligne. Viennent ensuite les investissements en ligne, dont la cryptomonnaie, les oeuvres d’art numériques et les jetons non fongibles (ou NFT, qui désigne un identifiant numérique unique enregistré sur une chaîne de blocs et employé pour en garantir la propriété et l’authenticité). Nous contrôlons même des éléments de notre quotidien avec des applications sur nos téléphones mobiles : programmer la température du spa à distance, faire fonctionner le chauffage et les systèmes de vidéosurveillance et démarrer la voiture.
Le tout a une valeur qui n’est pas que sentimentale.
Certaines des lois en vigueur
La Saskatchewan, l’Île-du-Prince-Édouard et, tout récemment, le Nouveau- Brunswick, ont adopté des mesures législatives octroyant le droit à des mandataires désignés d’accéder à ces actifs numériques, tout comme ils ont le droit d’accéder aux biens matériels. Cela permet aux personnes dotées de procurations et d’autres mandats de prendre toute mesure relative à un actif numérique précis que le titulaire du compte aurait pu prendre.
À l’heure actuelle, rien n’indique que d’autres provinces emboîteront le pas. Le gouvernement fédéral songe à élargir les droits octroyés à une personne par rapport au contrôle de ses données détenues par des entités commerciales. Cela permettrait à son mandataire d’exiger tous les renseignements recueillis par les sociétés sur cette personne, dont le droit de solliciter la destruction de ces renseignements dans l’ensemble du pays, ce qui ressemble aux mesures législatives en place dans ces provinces. Mais, rien n’a encore été concrétisé.
Sandy Abley, planificatrice financière agréée et avocate spécialisée en droit des successions et des fiducies de Vancouver, souligne que l’ajout d’une liste détaillée de tous les renseignements que nous conservons dans le monde virtuel à un testament peut aider les titulaires de procurations. Cela s’avérerait particulièrement utile en l’absence de mesures législatives. De tels instruments devraient contenir des directives sur les mesures que nos proches devraient prendre, advenant notre décès ou notre inaptitude.
« Ce que ces documents [les testaments et les procurations] ne contiennent pas… ce sont des directives soigneusement rédigées », précise Mme Abley. « À moins de vous abstenir absolument d’utiliser un téléphone mobile ou un ordinateur portable ou de bureau, j’estime que tout le monde maintient une quelconque présence en ligne, même s’il s’agit seulement d’une adresse de courriel. [C’est pourquoi] vous devriez mandater une personne pour supprimer toutes vos applications. Même si cela signifie de dire à quelqu’un de réinitialiser l’appareil à ses paramètres d’usine. »
« Si un membre de votre famille décède et n’a ni dressé cette liste ni indiqué la façon d’accéder à tous les éléments qui y figurent avec tous les mots de passe correspondants, vous parviendrez à y accéder, mais ce sera très long. Et cela pourrait ne pas être l’accès en ligne, peut-être seulement des copies imprimées de ce qui s’y trouve », enchaîne-t-elle.
Dresser une liste et la vérifier à deux reprises
Elle suggère de rédiger sur papier ou au moyen d’une feuille de calcul une liste des différents actifs numériques et de préciser à une personne de confiance l’endroit où trouver cette liste, ainsi que les clés et les mots de passe. Une bonne méthode consiste à allonger cette liste de façon graduelle, en y ajoutant les comptes ou les sites Web à mesure que vous vous y connectez et que vous les utilisez.
Les personnes n’ayant pas de proche à qui confier ces renseignements peuvent faire affaire avec une société de fiducie.
Il importe également de donner des directives sur les mesures à prendre avec ces actifs. Cela pourrait comprendre la fermeture de comptes bancaires, l’archivage de comptes sur les médias sociaux ou la vente de cryptomonnaie. Une biographie ou une oeuvre créative pourrait même être stockée dans l’ordinateur ou le nuage et être préservée pour les générations futures ou destinée à des fins de publication.
« Ces directives pourraient aussi être : “Si je meurs, roulez sur mon ordinateur avec un véhicule” », observe Mme Abley. « S’il y a des choses sur votre ordinateur que vous souhaitez que personne ne découvre, il faudrait peut-être songer à les sécuriser. »
Charlotte McCurdy, avocate spécialisée en droit successoral et testamentaire d’Ottawa, souligne que, dans le cas de personnes habitant dans les provinces et les territoires n’ayant pas adopté de législation applicable, les modalités et conditions dictées par le fournisseur de services, auxquelles l’utilisateur a consenti en cochant une case lors de la création de son compte, sont la norme par défaut. Cela comprend la possibilité ou l’impossibilité de transférer des points cumulés par une adhésion et d’accéder au compte de médias sociaux pour la personne titulaire d’une procuration.
« Nous nous trouvons maintenant dans une certaine incertitude », explique Mme McCurdy qui, elle aussi, suggère d’intégrer une clause dans votre testament et dans votre procuration qui permet à une personne désignée d’accéder à ces renseignements. Elle propose également qu’une liste des actifs numériques fasse partie de la planification successorale numérique, qui comprend le matériel informatique, les logiciels et tous les comptes ainsi qu’un registre des mots de passe, conservés dans un endroit où une personne de confiance pourra y accéder, avec des directives relatives à ce qu’il faut faire.
Pour Mark O’Farrell, les actifs numériques peuvent avoir une importance considérable et nous tardons à le reconnaître. Ce conseiller financier agréé et président du Canadian Institute of Certified Executor Advisors estime que les gens sautent souvent l’étape fondamentale de la transmission des mots de passe de ces comptes. Après un décès, tous ces renseignements que cette personne a stockés en ligne pourraient bien être hors de portée et ne plus être accessibles pour quiconque.
Sans présence physique, ces actifs numériques sont souvent oubliés et perdus à jamais.
« La vie des gens est consignée de façon numérique : leurs photographies, leurs relations », mentionne M. O’Farrell. « Vous avez maintenant la responsabilité de protéger ces actifs pour le bénéficiaire. »
La biotechnologie ajoute en complexité
M. O’Farrell émet une mise en garde. Le perfectionnement et la complexification des actifs numériques biotechniques sont inévitables, ce qui accentue encore plus l’importance d’en tenir compte dans la planification.
À l’heure actuelle, on se concentre sur la transmission de mots de passe pour les actifs et les comptes. La biotechnologie commence toutefois à entrer en jeu.
« Par exemple, que se passe-t-il si j’ai besoin de l’empreinte digitale du pouce de ma mère pour accéder à son téléphone? », lance-t-il. « Comment allez-vous gérer cela? Et si j’ai besoin d’une lecture d’empreintes rétiniennes? Si votre mot de passe ne fonctionne pas et que vous avez besoin d’empreintes rétiniennes et du pouce afin d’accéder à ces éléments, ce sera vraiment difficile. Comment procéderez-vous alors au paiement de factures? Au fil de nos progrès en matière de technologie numérique et de biotechnologie, tout cela deviendra beaucoup plus complexe. »
Un territoire inexploré
Les fournisseurs de services en ligne et de médias sociaux disposent tous de leurs propres règlements en matière de propriété et d’accès par autrui. Même si la législation peut prévaloir sur leurs modalités, la plupart des provinces et territoires n’ont aucune législation en place pour régir les actifs numériques.
Les plateformes de médias sociaux, notamment Facebook et Twitter, proposent des modalités pour retirer le compte d’un proche après son décès ou le transformer en compte commémoratif. Accéder à certains de ces comptes s’est toutefois avéré difficile et long, sans les identifiants et les mots de passe.
Apple autorise la création d’un contact légataire. Un compte peut être suspendu ou supprimé si on présente une preuve du décès de son titulaire. Cependant, les données détenues par Apple, y compris les données stockées sur iCloud, ne sont pas transférables, même après le décès.
Microsoft ne fournira ni renseignements ni accès à un compte sans ses identifiants. Par contre, les comptes seront fermés automatiquement après deux ans d’inactivité.
Google dispose d’un gestionnaire de comptes inactifs pour permettre aux utilisateurs de transmettre des parties des données de leur compte à une personne ou de l’aviser si le compte est inactif. Il faut cependant le configurer d’avance.
Vous et vos survivants
Retraités fédéraux a publié un cahier sur la planification successorale, avec le concours d’Arbor Memorial. Les pages 17 à 19 comprennent une feuille de travail, qui dresse une bonne liste d’actifs numériques, ainsi qu’un endroit où inscrire les adresses URL et les mots de passe.