Brian Caines et sa colonie

17 avril 2025
Brian Caines.
Brian Caines a pris part au maintien d’une attraction chère à Ottawa : les chats de la Colline du Parlement. Photo : Dave Chan
 

La partie officieuse de la carrière de Brian Caines dans la fonction publique consistait à s’occuper de certains des résidents les plus célèbres de la Colline du Parlement, et certainement de ses plus poilus. 

D’une durée de près de 35 ans, la carrière fédérale de M. Caines dans les ressources humaines et les relations de travail s’est terminée près de la Colline du Parlement. C’est là qu’il a rencontré, comme bien des touristes et d’autres visiteurs, les habitants du « Chatrlement ». 

Si vous n’avez jamais eu ce plaisir, sachez que le Chatrlement ne désigne pas un groupe de jazz dans le vent, mais une colonie indisciplinée de chats sauvages ou domestiques errants qui devint l’un des chapitres les plus charmants de l’histoire du quartier de la capitale du Canada. 

D’après le souvenir général, les chats sont arrivés dans les années 50. « Des gens se sont portés volontaires pour s’occuper d’eux dans les années 50 », explique M. Caines, en entrevue matinale. « Une anecdote voulait qu’il s’agisse de chasseurs de souris qui vivaient au Parlement et en avaient été expulsés dans les années 50, laissés pour compte sur la Colline. Je n’y crois pas. Je pense plutôt que, s’il y avait eu des chasseurs de souris dans les édifices du Parlement — et il y en avait, indéniablement —, et qu’on s’en était débarrassé, quelqu’un les aurait recueillis. » 

Peu importe ces origines obscures, de nombreux chats vivaient derrière l’édifice de l’Ouest, dans les ronces au sommet de la pente raide qui descend jusqu’à la rivière. Par temps clément, on les voyait généralement se prélasser, seuls ou en groupes, comme dans les dessins d’un livre de T.S. Eliot. Au fil des ans, plusieurs personnes ont aidé à prendre soin des chats, dont René Chartrand. 

« Lorsque la Colline du Parlement a été fermée après les attaques terroristes du 11 septembre », signalait la notice nécrologique consacrée au décès de M. Chartrand à l’âge de 92 ans en 2014,« l’un des rares civils autorisés à passer le cordon de sécurité était René Chartrand. Le Canada était peut-être bien sous la menace d’une attaque, mais les chats de la Colline du Parlement avaient toujours besoin d’être nourris. » 

La nécrologie citait M. Caines : « Il était sans pareil. C’était un individu unique. Que Dieu le bénisse, car il est un exemple de gentillesse pour tous. » 

Les gens qui ont rencontré M. Chartrand ont rédigé des souvenirs aimables sur la page Facebook des chats de la Colline du Parlement. (Eh oui, ils ont leur propre page Facebook. Et les vidéos abondent sur YouTube, dont la visite d’une équipe de télévision japonaise.) 

Cat shelter.
Les abris de fortune que les bénévoles ont construits au fil des ans pour les chats avaient l'une des meilleures vues de la ville d'Ottawa. Photo : Wendy Hollands
 

L’ère des chats sur la Colline a pris fin en 2013, alors que seuls quelques-uns y vivaient encore. Le complexe disparate de cabanes en bois que M. Chartrand et d’autres avaient érigées pour eux au fil des ans a été démantelé. Aujourd’hui, seuls les souvenirs demeurent. 

Ça, c’est l’histoire des chats. Maintenant, parlons de l’entrée en scène de M. Caines. 

Brian Caines est originaire de Cornerbrook, à Terre-Neuve, et a étudié à l’Université Memorial. Après ses études universitaires, il déménage à Vancouver en 1974. Bientôt, par l’entremise d’amis communs, il rencontre Lammert Prinsen. Ce fut un moment décisif. « En mai 2025, nous aurons été ensemble depuis 50 ans », plaisante Caines,« mais qui s’en soucie? » (M. Prinsen est retraité de Statistique Canada depuis 2008.) 

Il avait gagné un partenaire de vie tout en perdant, au fil du temps, ses expressions et son accent terre-neuviens. Jusqu’à un certain point. 

« Par exemple, je peux dire “mon bras me cherche”, ce qui veut dire que j’ai mal au bras. À Terre-Neuve, quand on a une crampe musculaire ou de l’inconfort physique, on dit souvent “mon bras me cherche”, “ma jambe me cherche”, ou “mon genou me cherche”. Et les gens diront : « Je ne savais pas qu’il ou elle t’avait perdu. » 

La carrière de M. Caines au gouvernement fédéral a débuté au Bureau de poste de Vancouver. Il a aussi occupé des postes à Agriculture et Agroalimentaire Canada, à la Commission des libérations conditionnelles du Canada, au Bureau du Conseil privé et, enfin, au Service administratif des tribunaux judiciaires, « qui combine tous les tribunaux inférieurs ne relevant pas de la Cour fédérale ». Il a pris sa retraite en 2007. 

Comme son dernier lieu de travail se trouvait à quelques pas de la Colline du Parlement, il s’y promenait pendant son heure de dîner et a rencontré les chats au début des années 90. René Chartrand,« l’ange gardien des chats de la Colline du Parlement », se faisait vieux et avait besoin d’aide pour s’occuper de la colonie. 

« Plusieurs bénévoles lui donnaient un coup de pouce », se souvient M. Caines. « Je faisais la coordination. J’ai dû travailler avec Travaux publics et la GRC, donc s’il se passait quelque chose par rapport à la sécurité, si nous apportions des choses sur la Colline, nous devions le faire savoir d’avance. » 

Malgré leur nature sauvage, les chats avaient besoin de soins constants. Si de nouveaux chats arrivaient, M. Caines et d’autres bénévoles les rassemblaient, les faisaient soigner et stériliser (l’hôpital vétérinaire d’Alta Vista s’en chargeait) et les adoptaient par l’intermédiaire de la Ottawa Humane Society « avant qu’ils ne soient trop intégrés dans le sanctuaire. Parce que, même si j’ai vraiment aimé le sanctuaire, il n’est pas idéal que des chats vivent à l’extérieur. » 

La difficulté toute particulière de capturer des chattes et leurs chatons lui a laissé des souvenirs impérissables. « Je traversais les ronces à leur recherche, parfois en chemise et cravate. » 

Avec le temps, la colonie a traversé de nombreuses épreuves. En 2010, « il n’y en avait plus que cinq ou six là-bas », mais un obstacle insurmontable avait surgi : la rénovation pluriannuelle à venir de tous les édifices parlementaires voisins. « C’était le meilleur moment pour y mettre fin », précise M. Caines. « Ils vieillissaient tous, ils avaient besoin de soins médicaux. » 

La fin de l’existence du Chatrlement a fait les manchettes internationales, avec des articles publiés en Allemagne, au Danemark, au Japon et au Royaume-Uni, dit-il. « Le Daily Telegraph a préparé un reportage superbe et exhaustif sur les chats. » 

Les derniers chats de la colonie ont été adoptés. À un moment donné, MM. Caines et Prinsen en avaient adopté quatre. Tous avaient des besoins médicaux spéciaux. Le dernier chat capturé sur la Colline portait le nom de Bugsy. « Il était très rusé, et nous l’avons pris. » 

Le dernier chat survivant s’appelle Coal. Son propriétaire, Danny Taurozzi, mène une campagne GoFundMe permanente pour les soins médicaux du félin. Le 3 février 2025, il avait amassé près de 14 000 $. 

Le quotidien de M. Caines, qui est retraité, comprend beaucoup de bénévolat. Il semble en forme et affable. M. Prinsen et lui vivent dans le quartier de la Petite Italie à Ottawa et M. Caines fait du bénévolat presque tous les jours. Il s’agit parfois de bénévolat formel, comme servir de cobaye pour des études menées par l’Université d’Ottawa sur la façon dont la chaleur et le sommeil affectent le corps humain. 

« S’ils ont besoin de palper quelqu’un, de le piquer ou de lui poser des électrodes, je suis leur homme. » Ces bénévoles sont payés, mais il refuse l’argent. « Si j’étais étudiant, j’accepterais, et je ne critique certainement personne qui le prend, mais je n’ai jamais eu à le faire et cela me donne beaucoup de satisfaction. »

 

Cet article a été publié dans le numéro du printemps 2025 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?