Ces maisons de North Rustico, à l’Île-du-Prince-Édouard, ont été rasées et déracinées par le vent de l’ouragan Fiona.
Les changements climatiques pourraient toucher la région située entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick et avoir de lourdes conséquences au niveau national.
Les projections montrent que la hausse du niveau de la mer finira par couper les autoroutes principales et les chemins de fer qui relient la Nouvelle-Écosse — et le port d’embarquement de Halifax — au Nouveau-Brunswick et au reste du Canada.
Il ne s’agit pas là d’une projection fantaisiste. Elle est à la base d’une recherche abondante et de rapports gouvernementaux aux niveaux municipal, provincial et fédéral. Il n’y a pas de consensus sur la façon de relever ce défi, bien que tous conviennent que les digues construites par les agriculteurs acadiens dans les années 1700 — et qui ont depuis si longtemps protégé les fermes, les villes et les infrastructures majeures – sont destinées à être submergées.
« La rupture incessante des digues et l’engloutissement permanent de ces zones sont encore une perspective éloignée », tempère David Kogon, maire d’Amherst, en Nouvelle-Écosse. « Toutefois, ce qui pourrait arriver du jour au lendemain, c’est une grosse tempête à marée haute et une onde de tempête géante qui pourraient causer une inondation majeure. Le montant des dommages causés par une telle inondation se chiffrerait en milliards de dollars. Nous essayons donc de nous protéger à la fois des inondations à court terme et des inondations permanentes. Il est d’une importance vitale d’élaborer et de mettre en œuvre un plan d’atténuation. »
Le point zéro d’une telle inondation serait l’isthme de Chignecto, la bande de terre entre la baie de Fundy et le détroit de Northumberland qui relie la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. L’isthme n’a que 24 kilomètres de large à son point le plus étroit, et sa majeure partie se trouve sous le niveau de la mer.
La nature de l’isthme est connue depuis longtemps par les Mi’kmaq, qui l’ont nommée Ssiknikt, ou lieu de drainage. Remontant à environ 300 ans, les digues près d’Amherst, en Nouvelle-Écosse, et de Sackville, non loin à l’intérieur de la frontière du Nouveau-Brunswick, ont empêché l’eau salée poussée par les tempêtes et les marées de la baie de Fundy, les plus hautes du monde, de s’infiltrer dans les terres.
« Les digues protègent les autoroutes, la voie ferrée du CN et d’autres infrastructures, comme les étangs d’épuration », explique Sabine Dietz, directrice générale de CLIMAtlantic et conseillère municipale de Sackville.
« Sackville et Amherst sont en partie situées derrière ces digues, tout comme d’autres régions du littoral. Les effets conjugués de l’élévation du niveau de la mer et des ondes de tempête pourraient donc entraîner la destruction, la rupture ou l’engloutissement de ces digues. »
« Autrement dit, l’ensemble des infrastructures à l’arrière des digues n’est pas suffisamment protégé pour résister aux conséquences prévisibles des changements climatiques. »
Des dizaines de millions de dollars de marchandises traversent quotidiennement ces couloirs, ce qui en fait un sujet de préoccupation nationale.
« Si vous perdez ne serait-ce qu’un jour ou deux de transport dans ce couloir », estime Mme Dietz, « vous aurez des problèmes de chaîne d’approvisionnement. Or, depuis la pandémie de COVID, on sait ce qui arrive lorsque la chaîne d’approvisionnement est interrompue. On se retrouve avec des étagères vides! »
Au cours d’une entrevue, le maire Kogon a exhibé une photographie qui illustre parfaitement la situation : on peut y voir le niveau d’eau après une onde de tempête qui se situe quelques centimètres à peine du sommet de la plus haute digue, à proximité des voies ferrées et de la route Transcanadienne.
Contenir les eaux sera coûteux. Les gouvernements fédéral et provincial produisent des rapports et étudient les options existantes. Les estimations de coûts vont de 175 millions à 300 millions de dollars, affirme Kogon, sans compter des décennies d’entretien continu à mesure que les niveaux d’eau augmenteront inexorablement.
« Ce n’est pas seulement Amherst qui serait en grande difficulté », avertit le maire. « Toute la province de la Nouvelle-Écosse aurait de gros ennuis. Comment pourrait-on acheminer les marchandises du port de Halifax vers le reste du Canada? »
Sa crainte la plus urgente est une montée des eaux causée par une tempête majeure à marée haute dans la baie de Fundy, ce qui constituerait une formidable combinaison des forces de la nature. « Même avec la décrue des eaux, la situation n’en serait pas moins très dommageable », déplore M. Kogon.
Heureusement, l’ouragan Fiona n’a pas été ce type de tempête. Cela ne l’a pas empêché de causer des dommages à Amherst et d’être la pire du Canada atlantique de mémoire d’homme.
(Ironiquement, la date de tombée de cet article sur les changements climatiques a été repoussée lorsque, soudainement, les principales sources d’information sont devenues indisponibles en raison des pannes d’électricité).
À Port aux Basques, à Terre-Neuve-et-Labrador, l’océan a emporté des maisons. Le pittoresque village de pêcheurs de Stanley Bridge, à l’Île-du-Prince-Édouard, a été entièrement détruit. Le long des côtes du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard, les dunes écologiquement fragiles ont été emportées par la tempête, tout comme les promenades de bois, les routes et les sentiers construits pour permettre aux randonneurs de profiter du paysage sans l’endommager. Et partout, des centaines de milliers d’arbres ont été abattus, voire arrachés du sol. Deux semaines après la tempête, des dizaines de milliers de personnes n’avaient toujours pas d’électricité, de nombreuses écoles étaient encore fermées et des années de nettoyage et de remise en état étaient à prévoir.
Ce sont là des exemples des défis à venir, alors que le niveau de la mer qui entoure la région monte, que les eaux se réchauffent et se métamorphosent de manière moins apparente. Brad de Young, professeur d’océanographie à l’Université Memorial, affirme que les océans risquent de perdre leur capacité d’absorber une grande partie des CO2 que nous rejetons dans l’atmosphère. L’eau est également plus acide et contient moins d’oxygène. De plus, les flux d’eau douce provenant de la fonte des glaces perturbent les courants océaniques et modifient les régimes de précipitations. Tous ces éléments réduisent la capacité des océans à réguler les températures atmosphériques et à refroidir la planète.
« Ces facteurs risquent de modifier la configuration des tempêtes dans l’Atlantique Nord de manière difficile à prévoir, car de tels changements n’ont jamais été observés auparavant avec précision », explique M. de Young.
Les changements climatiques affecteront également l’habitat des poissons et des autres créatures marines, qui sont sensibles à la température et migreront vers le nord à mesure que les eaux se réchaufferont. D’ailleurs, ce phénomène pourrait expliquer pourquoi les stocks de morues de l’Atlantique ne se sont jamais reconstitués comme prévu.
« On soupçonne de plus en plus que le caractère de ces écosystèmes a commencé à changer et que [ceux-ci] n’ont plus la résilience dont ils faisaient preuve [autrefois] », déplore-t-il.
Les espèces terrestres migreront également au fur et à mesure des changements climatiques, puisque certaines plantes et certains arbres familiers deviendront moins communs, tandis que des espèces moins familières s’épanouiront dans ces nouvelles conditions. C’est comme si le changement climatique affectait, pour emprunter le titre d’un film récent, Tout, partout, tout à la fois.
Réal Daigle, un météorologue à la retraite qui a travaillé à Environnement Canada pendant 37 ans et est maintenant bénévole à CLIMAtlantic, souligne à quel point ces systèmes sont étroitement liés. C’est pourquoi la région voit un plus grand nombre de journées de 30 oC et plus, ainsi que d’autres événements météorologiques extrêmes.
« Nous nous attendons à voir plus fréquemment des épisodes de pluies abondantes ou de fortes précipitations du fait que les températures plus chaudes génèrent plus de vapeur d’eau dans l’atmosphère », explique M. Daigle.
De tels changements ont une incidence sur la construction des infrastructures et des bâtiments, selon Blair Greenan, chercheur scientifique au ministère des Pêches et des Océans à Halifax. Le niveau des mers monte, les eaux se réchauffent et il y a moins de glace marine pour protéger les côtes des conditions météorologiques hivernales de plus en plus rigoureuses.
« Les zones côtières vont commencer à subir des tempêtes hivernales qu’elles n’ont pas nécessairement connues par le passé, ce qui va exercer une pression supplémentaire sur l’érosion côtière et les infrastructures », explique M. Greenan.
Les chercheurs mettent au point des outils en ligne pour prédire l’élévation du niveau de la mer dans des endroits précis, ainsi que pour aider les concepteurs et les ingénieurs qui construisent des quais, des ponts et d’autres infrastructures. De nouvelles exigences en matière d’aménagement du littoral sont maintenant imposées par des lois comme la Loi sur la protection du littoral (Coastal Protection Act) de la Nouvelle-Écosse.
« Si vous construisez un chalet ou une maison le long du littoral de la Nouvelle-Écosse, vous devrez respecter certains critères tenant compte des prévisions en matière de changements climatiques », indique M. Greenan.
Brad de Young soutient que les gens qui ignorent les changements climatiques le font à leurs propres risques et périls.
« Nous devons tous être prêts à faire face aux changements climatiques, car ils vont survenir, qu’on le veuille ou non… Toutes les prévisions qui ont été faites jusqu’à présent ont été optimistes. Malheureusement, elles n’ont pas été assez pessimistes. »
Outils pour les prévisions climatiques locales
CLIMAtlantic, un site contenant de nombreuses ressources
Perspectives régionales et autres rapports
Projections du niveau de la mer par communauté