Des générations en communion

17 juin 2024
Chandler Blokland and John Regier.
Chandler Blokland et John Regier se sont liés d’amitié lorsque M. Blokland a séjourné à la résidence-services pour aînés Gateway Lodge à Prince George, en Colombie-Britannique, dans le cadre d’un projet de l’Université du Nord de la Colombie-Britannique.
 

Visant un avenir en médecine, Chandler Blokland a sauté sur la chance de vivre parmi des aînés tout en fréquentant l’université. 

Avec un autre étudiant, il a déménagé à l’automne 2018 à la résidence-services pour aînés Gateway Lodge, à Prince George, en Colombie-Britannique (C.-B.), dans le cadre d’InterAGE, un projet d’activités intergénérationnelles pour la croissance et l’engagement de l’Université du Nord de la C.-B. (UNCB), en collaboration avec la régie de santé Northern. L’aspect clé du programme consistait à faire participer les étudiants à la vie quotidienne des aînés avec qui ils vivaient, pour améliorer le bien-être des résidents, des étudiants et de la communauté, grâce à l’interaction sociale. L’université a également donné un cours à Gateway Lodge, tout en permettant aux résidents et au personnel d’y participer en compagnie des étudiants. 

« Il s’agissait d’un projet de recherche intégré à un cours d’étude indépendant », qui impliquait également des réunions hebdomadaires et la tenue d’un journal, combinées à l’expérience résidentielle, explique M. Blokland. « Ce fut fantastique, une expérience magnifique… C’était comme avoir plusieurs groupes de grands-parents. » 

« Quand nous étions là-bas, nous avons remarqué une ségrégation assez élevée. Nous avons donc voulu rassembler les gens, participer à des activités. » 

Le résident John Regier a profité du programme tout entier, en assistant au cours tous les vendredis et en nouant des relations avec les étudiants. Près de cinq ans plus tard, il est toujours en contact avec M. Blokland, souvent par textos téléphoniques. 

Même si aller à l’école remontait à plusieurs décennies pour M. Regier, l’ancien fermier de 63 ans a pris plaisir au processus et participait même aux discussions. 

« Nous avons parlé de ce qui existe pour les aînés, c’est ce que j’ai appris. Nous avons parlé à la protectrice des aînés de la C.-B. », se souvient-il. « Auparavant, je ne prenais pas la parole pendant des discussions comme je le fais maintenant. » 

Le Canada constate une hausse des activités intergénérationnelles qui rassemblent jeunes et vieux dans diverses initiatives. Souvent, elles impliquent d’amener les étudiants aux résidences pour aînés. 

Il existe aussi des programmes à l'échelle communautaire. Des villes et villages ont installé des bancs de discussion pour encourager les conversations entre les gens qui pourraient, sinon, ne pas se parler. À Terre-Neuve, une vaste gamme de programmes artistiques jette un pont entre les générations. À Toronto, une « bibliothèque humaine » permettait aux usagers de la bibliothèque d’« emprunter » des aînés pour des conversations de 30 minutes. À Guelph, un programme de musicothérapie encadre ces interactions. 

Un groupe d’aînés de la résidence de retraite Colonel Belcher à Calgary a eu le bonheur d’accueillir une équipe de curleurs néo-zélandais de passage au Canada entre septembre 2023 et mars 2024, avant son départ vers la Suisse pour les championnats du monde. Cassandra Murray, la consultante en art de vivre à la retraite de cette résidence, avait vu une annonce disant que l’équipe était à la recherche d’une location à court terme et a suggéré que la résidence leur offre deux de leurs chambres de rechange. Les résidents ont été ravis de cette infusion de sang jeune dans leur milieu, et ont été heureux de leur faire part de leurs récits de voyage en Nouvelle-Zélande et d’anecdotes de curling dans leur passé. 

« C’était des gars des plus joyeux et des plus amicaux. Et puis, nous comptons pas mal d’adeptes de curling ici », explique Bob Lee, lui-même mordu de curling et pilote à la retraite de la Force aérienne. Lui et son épouse Joyce ont dîné avec les joueurs de curling et ont même participé à quelques cinq à sept du vendredi soir avec eux. 

« C’était comme avoir vos petits-enfants ici », ajoute Mme Lee. 

« C’était comme avoir vos jeunes petits-enfants, charmants et intelligents », renchérit M. Lee. 

En effet, l’équipe a charmé les résidents et le sentiment était mutuel. Il y a eu deux sorties : une pour un match entre la Nouvelle-Zélande et l’équipe du Canada et une autre pour un match hors concours. Des résidents, dont M. Lee, sont allés les voir jouer. Les curleurs ont également eu une bonne expérience. 

« J’ai eu beaucoup de plaisir à être là », explique Brett Sargon, 32 ans, et deuxième de l’équipe, nous parlant depuis l’Écosse, en transit vers la Suisse pour les championnats du monde de curling. « C’était un endroit très social. On croisait toujours des gens dans le couloir et on se mêlait aux résidents, ce qui était assez génial. » 

Ben Smith, 24 ans, s’est dit surpris de la façon dont l’expérience l’a touché. 

« Cela m’a vraiment fait comprendre l’effet qu’on peut avoir sur la vie de quelqu’un, simplement en bavardant avec eux », confie M. Smith. « C’est ce que j’ai ressenti lors de notre fête de départ. » 

M. Sargon dit que Bob et Joyce formaient un couple adorable. 

« Quand je suis arrivé à Calgary, mon univers se résumait au curling et il n’y avait rien d’autre », souligne-t-il. « Mais j’ai appris qu’il y a tellement plus. Les résidents nous diraient qu’ils savaient que nous étions ici pour le curling, mais nous rappelaient aussi de nous amuser, parce que la vie passe vite. » 

M. Smith en convient. 

« Nous avons commencé cette aventure avec une équipe de quatre personnes », explique-t-il. « Maintenant, des centaines de personnes veulent que nous la vivions autant que nous le voulons. Ce soutien vous motive un peu plus. Vous voulez en faire plus pour eux. » 

L’équipe devait disputer un match de championnat du monde contre le Canada au milieu de la nuit du 2 avril. Le personnel de la résidence l’a enregistré pour que les résidents puissent le regarder ensemble dans eur salle de cinéma le lendemain. 
 

La dimension intergénérationnelle

La LINKages Society de l’Alberta a établi des liens entre les générations dans la région de Calgary pendant 30 ans. 
Son ancienne directrice générale, Ruby Lecot, confirme que les programmes intergénérationnels en sont encore à leurs premiers pas au Canada. Elle affirme également que l’expérience de l’organisme a prouvé les énormes avantages pour les jeunes et les aînés, et qu’elle est appuyée par la recherche.

« Lorsque nous les rassemblons dans un cadre d’apprentissage mutuel, c’est là que nous constatons le potentiel, non seulement pour les logements partagés, les espaces de vie en commun et l’espace communautaire, car je considère aussi l’intergénération comme la reconstruction et le renforcement du tissu de la société », dit Mme Lecot. « Lorsque nous rapprochons des gens de diverses générations, ils se soucient les uns des autres. Je pense que c’est vraiment important dans la société, c’est ainsi que nous nous assurons que personne ne soit laissé pour compte. » 

« Il y a une tonne de pratiques prometteuses et émergentes », enchaîne-t-elle. « Je pense que nous ne faisons que gratter la surface. » 

La i2i Intergenerational Society est une autre organisation de longue date qui se consacre à la création de telles initiatives. Fondée par Sharon MacKenzie, ancienne enseignante de la C.-B., elle a pour but de bâtir des ponts entre les générations. 

« Vous ne faites pas des choses différentes, vous faites simplement les choses différemment », dit-elle. 

Il peut s’agir de lire le même livre et de réunir des jeunes et des aînés pour en discuter, de planter un jardin ensemble ou de combiner des chorales de jeunes et d’aînés, pour encourager cette interaction. L’idée consiste à organiser une activité sûre, simple, amusante et collaborative, afin que tous aient voix au chapitre. 

Selon Mme Mackenzie, ces petits changements peuvent se traduire par de grands avantages, notamment une amélioration de la santé et du bien-être des jeunes et des moins jeunes. 

Même si certains programmes existent depuis des décennies et que d’autres sont relativement nouveaux, le financement constitue un défi commun. Il s’agit d’une préoccupation qu'avait vivement ressenti Mme Lecot, de la LINKages Society. Mais Mme MacKenzie ne baisse pas les bras. Elle est en train de mettre sur pied un comité de défenseurs et d’intervenants, afin de fonder une nouvelle association à vocation nationale, dans l’espoir d’obtenir du financement pour créer des programmes durables. 

En 2012, l’International Federation on Ageing a déclaré que l’isolement social était le principal problème des aînés canadiens. Le problème est devenu flagrant pendant la pandémie, avec la diffusion, sur les flux d'information, de photos déchirantes d’aînés assis seuls derrière des fenêtres. Et le vieillissement de la société accroît encore davantage cette inquiétude. Statistique Canada estime que, d’ici 2036, environ 25 % de la population canadienne aura plus de 65 ans. Les relations intergénérationnelles sont l’une des approches jugées efficaces pour réduire l’isolement et aider les aînés à établir des liens enrichissants, à acquérir de nouvelles compétences et à demeurer présents dans leur collectivité. On les considère comme bénéfiques dans les deux sens, car la jeune génération obtient du mentorat et bénéficie de l’expérience et des connaissances de la génération plus âgée. 
 

Les collèges et les universités emboîtent le pas 

Il n’est donc pas surprenant que les collèges et les universités explorent des pistes intergénérationnelles. Nicole Norris, gestionnaire de l’innovation sociale au Georgian College à Barrie, en Ontario, a travaillé avec les services gériatriques de North Simcoe Muskoka, 211 et la Société Alzheimer, pour étudier l’intégration d’approches intergénérationnelles au programme d’études. On veut déterminer si la création d’une base de conscientisation orientera les politiques plus tard. 

Le projet tire son origine de l’isolement social que les aînés ont vécu pendant la pandémie. L’initiative de recherche et de mise à l’essai sera approfondie au cours d’un atelier dont le but est de créer les communautés intergénérationnelles inclusives de l’avenir. 

« [La technologie] ne nous sauvera pas, ce sont les gens qui vont nous sauver », dit Mme Norris. 

Pour en revenir à Prince George, Shannon Freeman et Dawn Hemingway, toutes deux professeures à l’UNCB, s’apprêtent à relancer InterAGE après une interruption pandémique. Elles ont entrepris de mettre les étudiants en rapport avec les aînés et d’évaluer l’expérience et les réussites, pour que cela serve de tremplin de développement ultérieur. Et cela a commencé par la conception d’un programme avec la participation des étudiants, des aînés ainsi que de la communauté dans le cadre du projet « co-créé ». 

« Nous entendons beaucoup parler d’histoires heureuses, nous voyons beaucoup de vidéos sur YouTube, mais quels sont les avantages mesurables réels? Ces programmes fonctionnent-ils et, si oui, comment et pour qui? », précise Mme Freeman. 

Les premières indications sont positives, ce qui amène Mme Hemingway à encourager tous les établissements pour aînés à offrir un type de programme intergénérationnel aux résidents, pour qu’ils gardent des liens avec la communauté. À son avis, l’université est un bon point de départ. L’UNCB peut tirer parti de ses campus dans la région nord de la province pour établir ces liens. 

« C’est l’endroit idéal pour des programmes intergénérationnels. Ainsi, tout le monde donne, et tout le monde apprend, partage et en profite. Ce n’est donc pas seulement unidirectionnel. »

 

Cet article a été publié dans le numéro du l'automne 2023 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?