Photo : Carol Allegri/Reuters
Les fonctionnaires retraités du Canada seront l’une des milliers de voix en lice pour réclamer l’attention du nouveau Parlement. Mais le pouvoir décentralisé et la collaboration incontournable habituellement caractéristiques des gouvernements minoritaires offrent à l’Association nationale des retraités fédéraux l’occasion de faire avancer ses priorités, affirme Sayward Montague, directrice de la défense des intérêts. « Il semble s’agir d’un gouvernement qui partage certaines de nos priorités et avec lequel nous pouvons continuer à travailler », a-t-elle déclaré dans les jours qui ont suivi le vote du 21 octobre.
Avant et pendant la campagne, l’Association, qui compte 176 000 membres, a exhorté les cinq plus grands partis politiques à établir une sécurité de retraite accrue, à adopter une stratégie nationale pour les aînés, à soulager les vétérans et leurs familles de leur fardeau unique lorsqu’ils quittent le service et à créer un régime national d’assurance-médicaments. Parmi ces objectifs, l’assurance-médicaments — ou une forme quelconque de celle-ci — a de bonnes chances de devenir bientôt une politique, de dire Mme Montague.
Pour faire adopter les projets de loi, les 157 députés du gouvernement libéral minoritaire devront travailler avec les autres partis. Le Nouveau Parti démocratique et le Parti vert appuient également l’inclusion des médicaments au régime d’assurance-maladie. Le chef du NPD, Jagmeet Singh, dont le parti a remporté 24 sièges, et l'ex-chef du Parti vert, Elizabeth May, qui a remporté trois sièges, ont tous deux mentionné l’assurance-médicaments comme domaines potentiels de coopération après la soirée des élections.
Les conservateurs ont dit que la promesse du régime d’assurance-médicaments des libéraux pourrait mener à de nouvelles taxes atteignant 15 milliards de dollars, même si le chef Andrew Scheer avait déclaré, avant la campagne, qu’il travaillerait à combler les lacunes de la couverture. Le parti chercherait également à faire produire davantage de médicaments pour les maladies rares au Canada, avait-il dit.
Selon Mme Montague, la lame de fond publique pour l’assurance-médicaments fait en sorte qu’il est impossible d’ignorer ou de retarder les choses. Les prix élevés des médicaments au Canada et les lacunes en matière de couverture sont bien connus. Au sein des économies très développées, le Canada est le seul pays dont le régime de santé publique ne couvre pas les médicaments prescrits à l’extérieur des hôpitaux.
Les dépenses en médicaments ont augmenté rapidement depuis l’avènement du régime d’assurance-maladie, passant de 2,6 milliards $ en 1985 à 33,7 milliards $ en 2018. Aujourd’hui, le Canada se classe au troisième rang des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) où l’on paie les prix les plus élevés pour les médicaments, soit 25 % de plus que la médiane de l’OCDE.
Environ 20 % des Canadiens disposent d’une couverture inadéquate, voire inexistante, et paient leurs médicaments de leur poche, d’après le rapport d’un conseil consultatif fédéral publié plus tôt cette année. Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, les personnes âgées ressentent particulièrement la pression, car on leur prescrit plus de médicaments à mesure qu’elles vieillissent.
L’Association surveillera la façon dont les parlementaires décident de financer un régime d’assurance-médicaments et son incidence sur les aînés, précise Mme Montague. Par exemple, les gens pourraient se retrouver avec une couverture moindre si, en réaction au programme public, les régimes privés d’assurance-médicaments sont réduits ou éliminés et que le régime public se révèle moins généreux, fait-elle remarquer.
À part l’assurance-médicaments, les prédictions sur ce qui pourrait se passer au cours de la prochaine législature constituent un jeu d’enfant.
Les principaux partis doivent encore déterminer les priorités qu’ils sont prêts à défendre et celles qu’ils peuvent négocier. Ajoutez à cela le vide des coffres de guerre électoraux et un examen de conscience postélectoral, et vous obtenez une gamme de résultats imprévisibles.
Les politiques sociales et de santé sous la rubrique d’une stratégie nationale pour les aînés — même si les partis n’utilisent pas toujours cette expression —, représentent un domaine possible de coopération. Le Canada est un pays vieillissant, où de nouveaux problèmes surgissent à mesure que la longévité augmente et que les programmes traditionnellement utilisés pour prendre soin des personnes les plus vulnérables nécessitent des révisions.
Le dernier gouvernement libéral a consacré des fonds à la santé mentale, aux soins à domicile et aux soins palliatifs, ce qui indique une reconnaissance précoce de l’ampleur du problème. Il a aussi affecté des fonds pour cibler les aînés dans sa stratégie de logement, mais le Canada n’est toujours pas prêt pour le changement démographique qui nous attend depuis 2015, lorsque le nombre d’adultes âgés a dépassé celui des enfants de moins de 15 ans, une tendance qui devrait continuer, selon Mme Montague. « Des mesures ont été prises, mais nous sommes encore à mi-chemin entre l’élaboration d’une politique et de programmes d’avenir pour un Canada vieillissant et la mise en oeuvre de mesures concrètes pour y faire face. »
Cette fois-ci, les libéraux ont promis 6 milliards $ sur quatre ans pour améliorer l’accès aux médecins de famille ou aux soins primaires, établir des normes nationales pour les services de santé mentale, améliorer les soins à domicile et les soins palliatifs, ainsi qu’un régime d’assurance-médicaments.
Le parti veut également définir la maltraitance des aînés à l’échelle nationale, et disposer de meilleures méthodes de collecte de données et d’une meilleure application de la loi à cet égard. Selon l’organisme ontarien Prévention de la maltraitance des aînés, de deux à dix pour cent des aînés sont victimes de mauvais traitements, soit entre 40 000 et 200 000 personnes en Ontario seulement.
Les conservateurs ont promis de garder un ministre des Aînés à la table du Cabinet, d’octroyer 1,5 milliard $ pour de nouveaux appareils d’imagerie à résonance magnétique et tomodensitomètres, d’augmenter de 3 % la formule de financement du Transfert canadien en matière de santé, et de verser 15 millions $ pour mettre en oeuvre un cadre des soins palliatifs.
Le NPD a fait ouvertement campagne en faveur d’une stratégie nationale pour les aînés qui s’attaque à l’isolement, à la pauvreté, à la démence, aux mauvais traitements infligés aux aînés, au logement abordable et à l’inclusion des coûts de soins dentaires au régime d’assurance-maladie.
L’Association a revendiqué la planification d’un solide continuum de soins pour les aînés, de sorte que plusieurs de ces promesses, de même que certaines du Parti vert et du Bloc, pourraient faire avancer les choses.
Le scénario d’un gouvernement minoritaire, qui donne plus de pouvoir aux comités parlementaires et aux députés d’arrière-ban, constitue un avantage pour l’Association, qui dispose ainsi de plus de moyens pour faire avancer son programme et trouver des alliés, dit Mme Montague. Plusieurs des anciens collaborateurs de notre association, dont l’ancienne ministre des Aînés et députée de Hamilton-Ouest-Ancaster-Dundas, Filomena Tassi, ainsi que les députées de Richmond Centre, Alice Wong, et de North Island-Powell River, Rachel Blaney, ont été réélus, ce qui ouvre des portes dans la nouvelle configuration du pouvoir à Ottawa, enchaîne-t-elle.
Savoir si le gouvernement minoritaire ira de l’avant avec le renforcement de la sécurité de la retraite, une priorité de l’Association qui n’a guère retenu l’attention des médias durant la campagne, demeure une inconnue importante.
Le gouvernement précédent avait présenté le projet de loi C-27, qui aurait permis aux employeurs de convertir les régimes de retraite à prestations déterminées en régimes à prestations cibles, donc de transférer le risque des employeurs aux employés et de modifier la rémunération différée déjà acquise.
Après les pressions exercées par l’Association, les libéraux n’ont jamais franchi l’étape de la première lecture pour ce projet de loi. Mais, malgré les promesses sur la mort de ce projet de loi, des bénévoles de l’Association du sud-ouest de l’Ontario ont entendu dire qu’il pourrait renaître sous une forme ou une autre, et l’Association suivra ce dossier de très près, poursuit Mme Montague. Comme cette région abrite une bonne partie du mouvement syndical canadien et a subi de grosses difficultés en matière de régimes de retraite d’employeurs, la protection de la sécurité de la retraite y constitue une corde très sensible, souligne-t-elle.
D’autres types d’aide pour les retraités pourraient se traduire par une coopération entre les partis.
« Des mesures ont été prises, mais nous sommes encore à mi-chemin entre l’élaboration d’une politique et de programmes d’avenir pour un Canada vieillissant et la mise en oeuvre de mesures concrètes pour y faire face. » — Sayward Montague
Les libéraux ont promis de collaborer avec les provinces pour augmenter de 25 % la prestation de survivant du Régime de pensions du Canada et du Régime de rentes du Québec et de 10 % celle de la Sécurité de la vieillesse (SV) pour les prestataires qui atteignent 75 ans et gagnent moins de 77 580 $.
Les conservateurs ont promis d’augmenter le crédit d’impôt en raison de l’âge de 1 000 $ et d’offrir des incitatifs aux retraités qui veulent retourner au travail.
Le NPD a dit qu’il instaurerait un délai d’un an pour les aînés qui risquent de voir leur Supplément de revenu garanti (SRG) suspendu, créerait un programme d’assurance-pension obligatoire financé par l’industrie et rendrait l’inscription à la SV et au SRG rétroactive. Il a été le seul parti à mentionner directement l’élimination des régimes à prestations cibles comme celui proposé dans le projet de loi C-27.
Les verts ont fait campagne pour remplacer de nombreux programmes pour retraités
par un revenu minimum garanti et faire passer de 25 % à 50 % le taux de remplacement du revenu cible du RPC.
Le Bloc a promis d’augmenter le revenu des aînés qui reçoivent le SRG, d’augmenter le SRG, de faciliter le retour au travail de personnes de plus de 65 ans et de réformer les pensions de vieillesse, afin de protéger les hausses de revenu des ménages.
Le NPD, le Parti vert et le Bloc ont tous promis de protéger les retraités pendant le processus de faillite des employeurs, ce qui en fait un dossier de coopération des plus clairs.
Tout comme la sécurité de la retraite, les enjeux liés aux vétérans ont reçu peu d’attention au cours de la campagne, mais ils ne manqueront pas de susciter un débat public en raison de leur gravité, de dire Mme Montague. Trente-deux pour cent des vétérans éprouvent de la difficulté à réintégrer la société après le service militaire — avec une prévalence plus élevée, à savoir 42 %, chez ceux qui ont récemment mis fin à leur service, selon une enquête de Statistique Canada. Outre cela, les vétérans accusent des taux plus élevés de problèmes médicaux comme l’arthrite et l’anxiété, tout en se disant de plus en plus insatisfaits de leur situation financière.
Les libéraux se sont engagés à créer un « service d’intervention rapide » composé de travailleurs sociaux, de conseillers en gestion de cas et d’autres intervenants, pour fournir des soins de santé mentale de haute qualité. Ils ont également promis 3 000 $ en services de consultation gratuits avant qu’une demande de prestations d’invalidité ne soit nécessaire, une indemnité de réinstallation non imposable de 2 500 $ pour chaque déménagement et 15 millions $ pour de nouveaux logements abordables.
Les conservateurs ont promis un nouveau pacte militaire entre le gouvernement fédéral et les vétérans, et se sont engagés à éliminer l’arriéré des demandes de prestations de vétérans dans les 24 heures. Ils ont également déclaré qu’ils mèneraient une enquête indépendante sur les raisons pour lesquelles les membres des Forces armées ont reçu de la méfloquine, un médicament antipaludique pouvant causer de graves problèmes psychologiques.
Le NPD et le Parti vert ont promis des examens exhaustifs des prestations pour les vétérans. Le NPD augmenterait également le nombre d’agents chargés de cas des vétérans, qui passerait d’un pour 32,5 à un pour 25.
Mme Montague souligne qu’aucun des partis n’a mentionné vouloir augmenter les recherches sur les femmes militaires et vétéranes et répondre à leurs besoins uniques, une priorité émergente pour l’Association. Les femmes membres des Forces armées vivent le service militaire et les blessures différemment des hommes, dont les différents risques d’exposition environnementale pendant leur service militaire. Les programmes qui existent sont généralement conçus par des hommes et pour des hommes, observe Mme Montague, ajoutant que, aujourd’hui, les Forces armées comptent environ 15 % de femmes et ce pourcentage devrait atteindre 25 % au cours des prochaines années.
« Si les services et les programmes ne répondent pas aux besoins d’un quart des gens qui mettent leur vie en danger pour le Canada, nous avons un problème. »