
Un technicien médical des Forces armées canadiennes discute avec une résidente de l’Hôpital Sainte-Anne de Montréal, dans le cadre de l’opération LASER en 2020, lorsque la COVID-19 a frappé et exacerbé une crise dans les soins de longue durée. Photo : Cpl Geneviève Beaulieu
Au Canada, les soins de longue durée dépassent la portée de la Loi canadienne sur la santé et sont donc essentiellement du ressort des provinces et des territoires. Ainsi, les soins de longue durée (SLD) varient en fonction de l’endroit où l’on vit au pays.
Le gouvernement fédéral a tenté d’amener les gouvernements provinciaux et territoriaux à discuter de l’adoption de normes nationales en matière SLD, une suggestion de l’Association canadienne de normalisation (Groupe CSA) et de l’Organisation des normes de santé. Il travaille aussi sur la Loi sur les soins de longue durée sécuritaires, qu’il promet depuis longtemps et qui vise à créer des établissements centrés sur la personne disposant d’une main-d’oeuvre capable de répondre à divers besoins, offrant un choix dans le cadre du continuum de la santé et réunissant des données à l’échelle nationale qui peuvent être diffusées pour montrer les pratiques exemplaires efficaces. Toutefois, cet objectif risque de survivre à ce gouvernement libéral.
En attendant, les provinces fonctionnent de manière indépendante. En 2021, l’Ontario a adopté la Loi sur le redressement des soins de longue durée. Elle promettait de prodiguer une moyenne de quatre heures de soins directs par jour aux résidents. Puis, dans un rapport de décembre 2024 sur la dotation en personnel, le gouvernement provincial a admis qu’il n’avait pas atteint ses objectifs. Les objectifs provisoires de la première et de la deuxième année ont été réalisés, mais pas celui d’atteindre trois heures et 42 minutes d’ici le 31 mars. Le document indique également que, en raison de la pénurie de personnel, l’Ontario a besoin de 13 200 infirmières et de 37 700 préposés aux services de soutien personnel supplémentaires.
Lhamo Dolkar est infirmière praticienne spécialisée en gériatrie et présidente de l’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario, qui compte 54 000 membres.
« Je pense que l’état des soins de longue durée était déjà préoccupant avant la pandémie. Celle-ci a simplement révélé les lacunes qui existaient déjà dans le système de santé et les a rendues encore plus évidentes », explique Mme Dolkar. « Par rapport aux ressources humaines, à la prestation des soins et au fait qu’on s’éloignait de plus en plus de l’approche centrée sur le patient, les soins étaient davantage axés sur les tâches et l’on considérait davantage les résidents comme étant des tâches. »
En 2022, le gouvernement de l’Ontario a adopté la loi 7, la Loi pour plus de lits et de meilleurs soins, sans tenir de consultations publiques. Cette loi permettait aux hôpitaux de transférer les patients dans des établissements de SLD qu’ils n’avaient pas choisis et, dans certains cas, très éloignés de leur collectivité, sans quoi ils s’exposaient à des pénalités financières. L’objectif était de libérer des lits d’hôpitaux, mais le projet de loi fait actuellement l’objet d’une contestation fondée sur la Charte.
Pour lutter contre la pénurie d’infirmières, l’Ontario s’est tourné vers des agences privées pour combler les besoins en personnel, une solution que la vérificatrice générale a qualifiée de « coûteuse et insoutenable ».
Pourtant, en 2019, le gouvernement avait présenté le projet de loi 124, qui plafonnait les augmentations de salaire des infirmières et des autres travailleurs du secteur public à 1 % par an pendant trois ans. En novembre 2023, ce projet de loi a été jugé inconstitutionnel et les infirmières ont obtenu des rajustements salariaux rétroactifs. Cette gifle financière a eu un effet dévastateur sur le moral des travailleurs de la santé, déjà surchargés, qui avaient été en première ligne pendant la pandémie.
Mme Dolkar pense que l’Ontario autorise trop de résidences et de foyers de soins à but lucratif, des entreprises qui ont tendance à faire des économies de bouts de chandelle sur le matériel et le personnel. Cela dit, elle félicite le gouvernement d’avoir poussé les collèges à accélérer l’autorisation des milliers d’infirmières étrangères déjà présentes en Ontario et d’avoir permis aux infirmières praticiennes d’occuper des fonctions de directrices des services cliniques dans les établissements de soins de longue durée. Cette mesure permet aux infirmières praticiennes de prescrire des médicaments pour des problèmes simples, comme la constipation ou les infections urinaires. Avant ce changement, la pénurie de médecins faisait en sorte que les patients pouvaient se retrouver à l’hôpital parce qu’aucun médecin n’était disponible pour traiter ces problèmes relativement courants.
« Ainsi, le nombre de patients dans les salles d’urgence augmentait, ce qui créait de la médecine de couloir », explique Mme Dolkar. « Employer des infirmières praticiennes comme directrices des services cliniques est une bonne solution, car elles superviseront les activités cliniques et pourront examiner les exigences réglementaires en matière de soins de longue durée. Elles pourraient aussi examiner les politiques qui doivent être revues, révisées et mises en place dans un établissement de soins de longue durée. »
Ces dernières années, le Québec a pris une mesure importante à l’égard des SLD en s’engageant à nationaliser le reste de ses établissements de SLD privés d’ici 2025. Cet engagement a été pris à la suite du rapport du coroner du Québec sur les décès survenus dans les établissements de SLD pendant la pandémie de COVID-19, dans lequel l’une des recommandations était de convertir tous les CHSLD privés en CHSLD gérés par la Province.
La Colombie-Britannique a apporté certaines améliorations importantes aux normes sur les SLD depuis 2020, notamment le nivellement des salaires pour les employés et la modernisation des établissements pour y inclure de meilleures mesures de contrôle des infections, davantage de chambres individuelles et une meilleure ventilation. La Province s’est également engagée à poursuivre ses améliorations dans des domaines clés comme augmenter le nombre d’heures de soins directs prodigués aux résidents par le personnel des 3,36 heures actuelles aux quatre heures recommandées.
Le Dr Roger Wong est professeur clinicien de médecine gériatrique et vice-doyen de l’éducation à la faculté de médecine de l’Université de la Colombie- Britannique. Il travaille beaucoup avec les patients atteints de la maladie d’Alzheimer et de démence.

Des soldats du Royal 22e Régiment saluent une patiente en quittant le Centre d’hébergement Henri-Bradet, lors de l’opération LASER à Montréal, au Québec. Photo : Cpl Marc-André Leclerc
« On parle toujours de l’accès aux soins, y compris les soins de longue durée, du bon type de soins au bon moment », explique M. Wong.
Il cite des maladies et problèmes courants, comme une pneumonie, une hémorragie intestinale, un accident vasculaire cérébral ou une chute accidentelle entraînant une fracture, qui font passer les personnes âgées des soins communautaires à l’hôpital. Si le patient présente déjà un déclin mental, cela peut inciter les soignants à envisager des SLD pour leurs proches.
Le Dr Wong salue l’idée de normes nationales pour les soins de longue durée, mais estime que la question est de savoir comment elles seront mises en oeuvre. Selon lui, il faut adopter une approche intersectorielle, améliorer les pratiques de travail au moyen de meilleures politiques et de meilleures lois, et trouver des solutions équitables pour répondre aux divers besoins des différentes collectivités.
Il fait également remarquer que le placement d’un proche dans un établissement de soins de longue durée est stigmatisé, en particulier dans les communautés asiatiques et sud-asiatiques qui vivent traditionnellement dans des maisons multigénérationnelles avec leurs aînés.
« Il n’est pas seulement question d’augmenter le nombre de lits ou d’établissements », ajoute-t-il, indiquant que l’Organisation mondiale de la santé a désigné cette décennie comme celle du vieillissement en santé. « Il faut avant tout revoir l’ensemble du paradigme de la prestation de soins de longue durée. Vieillir chez soi ne veut pas nécessairement dire que l’on garde la même personne au même endroit à mesure qu’elle vieillit. »
Janice M. Keefe, professeure et présidente du département d’études familiales et de gérontologie de l’Université Mount Saint Vincent, ainsi que directrice du Centre sur le vieillissement de la Nouvelle-Écosse, explique que, au Canada atlantique, où la population est la plus âgée du pays (20 % d’aînés), les ressources humaines constituent un enjeu majeur pour les soins de longue durée.
« Je dirais que, par rapport à la Colombie-Britannique et à l’Ontario, nous constatons pour la première fois qu’une proportion croissante du personnel, en particulier des aides-soignants , c'est-à-dire le personnel de première ligne, est constituée de nouveaux arrivants au Canada », déclare-t-elle. « Ils viennent d’endroits très différents, des Philippines, de l’Inde et même de l’Afrique.
Ce changement démographique parmi les travailleurs en soins de longue durée est manifeste, en particulier en Alberta. Selon Mme Keefe, si environ 20 % du personnel en soins de longue durée en Nouvelle-Écosse sont des néo-Canadiens, en Alberta, cette catégorie d’employés représente près de 85 à 90 %.
En 2022, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a investi 65 millions de dollars dans les régies de santé, les soins de longue durée et les soins à domicile, afin d’augmenter de 23 % la rémunération des aides de soins continus, ce qui fait d’eux les mieux payés du Canada atlantique.
« La qualité des soins est d’une grande importance et elle permet d’obtenir une qualité de vie », affirme Mme Keefe. « Mais au bout du compte, en fin de vie, on veut éprouver une certaine forme de joie ou de bonheur. »
Plans sur les soins de longue durée selon les partis
NPD
La Loi sur les soins de longue durée sécuritaires, un élément clé de l’entente de soutien et de confiance que le NPD avait conclu avec les libéraux, pourrait être menacée en cas d’élections. De plus, le NPD réclame l’abolition des soins de longue durée à but lucratif et veut qu’on mette sur pied des normes nationales en matière de soins de longue durée. Le parti revendique également la création d’une stratégie nationale pour les aînés.
Libéraux
Un porte-parole de Santé Canada et de l’Agence de la santé publique du Canada a vanté l’investissement (7,1 milliards de dollars sur cinq ans) réalisé dans le cadre d’accords bilatéraux avec les provinces comme un moyen de permettre aux gens de « vieillir avec dignité, près de chez eux en ayant accès à des soins à domicile ou à des soins dans un établissement de soins de longue durée sécuritaire ». Les organisations ont souligné l’adoption, en janvier 2023, des normes de soins de longue durée de l’Association canadienne de normalisation et de l’Organisation des normes de santé, ainsi que les consultations sur la Loi sur les soins de longue durée sécuritaires. Les libéraux avaient promis de déposer le projet de loi avant la fin de l’année 2024, mais ne l’ont pas fait. Ils ont signé des accords avec deux gouvernements provinciaux et un gouvernement territorial, pour augmenter les salaires des préposés aux services de soutien personnel et les former. À l’automne 2024, ils ont parlé de mettre en place un nouveau crédit d’impôt remboursable pour les préposés aux services de soutien personnel dès que possible, mais c’était avant que le premier ministre Justin Trudeau annonce sa démission.
Conservateurs
La déclaration politique du Parti conservateur du Canada lors de son congrès national en septembre 2023 évoque les soins de longue durée une fois dans le cadre de sa stratégie nationale pour les soins aux aînés. Elle stipule qu’on devrait encourager les provinces et les territoires à collaborer et à s’entendre sur des normes de service minimales pour les soins à domicile, communautaires et de longue durée, et à déterminer et à partager les initiatives et pratiques exemplaires favorables aux aînés.
Bloc Québécois
Dans son programme de 2021, le Bloc demande à Ottawa de veiller à ce que les gens aient accès à des soins de qualité et que les travailleurs de la santé aient du soutien et de bonnes conditions de travail. Il demande au gouvernement fédéral d’augmenter inconditionnellement les transferts en matière de santé, pour couvrir 35 % des coûts des soins de santé.
— Mick Gzowski
Remèdes pour les soins de longue durée
Au début de 2023, des normes nationales pour les soins de longue durée ont été annoncées. Elles avaient été établies sous la direction du Dr Samir Sinha, directeur du service de gériatrie à l’Hôpital Mount Sinai et président du comité technique chargé d’élaborer ces normes en collaboration avec l’Organisation des normes de santé (HSO) et l’Association canadienne de normalisation (CSA).
Les normes ont été définies dans le cadre d’un processus rigoureux, fondé sur des données probantes, dirigé par des experts et avec la pleine participation de personnes ayant une expérience vécue, dans le cadre de multiples consultations publiques et ciblées. Les normes qui en résultent fournissent un niveau minimum de soins et de prestation de services, ainsi que de prévention et de contrôle des infections. Mais il reste du travail à faire. Les normes sont volontaires, ce qui pose problème. Pour faire une différence véritable et mesurable, l’application et la réglementation s’imposent, même si cela est difficile dans un système fédéral.
C’est pourquoi Retraités fédéraux continue sa campagne pour que les normes nationales pour les soins de longue durée soient mises en oeuvre, dotées de financement et soumises à une reddition de comptes. Plus de 18 000 de nos membres participent à notre appel en faveur de meilleurs soins de longue durée.
Une élection fédérale est imminente. L’amélioration des soins de longue durée est une priorité de Retraités fédéraux et doit être une priorité lors de cette élection. Gardez l’oeil sur notre matériel électoral et joignez-vous à notre campagne. Consultez bit.ly/4hc2oPz pour plus d’informations.
— Jessica Searson