L’assurance-médicaments, un but depuis 1965

19 octobre 2022
Tasse avec le drapeau canadien à côté d'un flacon de pilules renversé.
Selon les études, l’assurance-médicaments a le soutien de 80 à 95 % des Canadien·ne·s mais, jusqu'à présent, aucun gouvernement ne l'a mise en œuvre. 
 

L’assurance-médicaments est un but qui remonte à 1965, année où le système de santé canadien a pris sa forme actuelle. L’assurance-médicaments universelle à payeur unique de l’État a été recommandée par toutes les commissions qui ont étudié la question et constitue la pierre angulaire de l’accord conclu entre les libéraux au pouvoir et le NPD pour prolonger la présente session parlementaire jusqu’à l’année 2025. 

Selon les études, la politique a le soutien de 80 à 95 % des Canadiens mais, jusqu’à présent, aucun gouvernement ne l’a mise en œuvre. 

Lorsqu’on l’interroge sur l’assurance-médicaments, Marc-André Gagnon, professeur à l’Université Carleton et spécialiste des politiques de santé, de produits pharmaceutiques et de l’innovation, est catégorique. « Je travaille en politiques sociales et les dossiers sont tout le temps de grandes zones de gris. Je dirais que l’assurance-médicament est le seul dossier où  c’est vraiment noir et blanc. »

Mais l’assurance-médicaments a ses adversaires, dont certains retraités fédéraux, qui citent surtout trois préoccupations. Premièrement, le Québec dispose déjà d’une assurance gouvernementale pour les médicaments et certains pensent qu’un nouveau programme ferait double emploi. Deuxièmement, les conséquences de l’assurance-médicaments sur la couverture du Régime de soins de santé de la fonction publique sont incertaines. Et, troisièmement, certains la croient trop coûteuse.

Selon M. Gagnon, le Canada est le seul pays au monde doté d’un système de santé universel qui n’a pas également un régime universel d’assurance-médicaments. Il ne reconnaît donc pas les médicaments comme un service de santé essentiel. Cela entraîne plusieurs conséquences pour la population.

Premièrement, dans l’univers de l’assurance-médicaments publique et privée, la couverture varie fortement en fonction de l’âge, du statut, du lieu et de la profession. Comme le Canada compte plus de 110 programmes publics et 100 000 régimes privés, il est impossible de surveiller les coûts et de prendre des mesures à leur égard. Avec pareille fragmentation, les gouvernements n’ont ainsi aucun pouvoir de négociation sur les grandes sociétés pharmaceutiques  et les pharmacies.

Deuxièmement, il est difficile de surveiller les prescriptions et d’assurer l’innocuité, car le système actuel ne dispose pas de données centralisées à analyser. Cela entraîne la sous-prescription, la surprescription et la misprescription. Ces problèmes de prescription se répercutent sur le système de santé en général, augmentant inutilement la pression sur le système et son coût.

Troisièmement, l’absence de contrôle des coûts donne trop de latitude aux principaux acteurs de l’industrie — des assureurs aux sociétés pharmaceutiques en passant par les pharmaciens — pour fixer les prix comme ils l’entendent. Et il n’existe pas de stratégie rationnelle d’achat en gros qui ferait réaliser des économies d’échelle et contribuerait au contrôle des prix des médicaments. Le Canada est donc le deuxième pays où les médicaments sont les plus chers, après les États-Unis. Au Canada, le Québec est la province où les médicaments sont les plus chers.

« Il faut arrêter de voir la question de l’assurance-médicaments comme un système de gestion de paiement de factures. Un régime d’assurance-médicaments, c’est un système organisé, pour s’assurer qu’on en a pour notre argent, pour s’assurer qu’on évite les gaspillages, pour s’assurer aussi de la sécurité des médicaments et s’assurer que les prescriptions soient ordonnées de manière appropriée. »

Les Québécois en ont-ils donc pour leur argent? Et la province dispose-t-elle réellement d’un régime d’assurance-médicaments? 

M. Gagnon estime que le système québécois privilégie l’assurance privée à but lucratif au détriment de la qualité des services, de la réduction des coûts ou du contrôle des prescriptions. Dans ce système, personne n’a intérêt à réduire les coûts. Les résidents qui ont accès à un régime privé d’assurance-médicaments sont obligés d’y souscrire. Les résidents qui n’en ont pas doivent souscrire au régime gouvernemental, qui comprend des primes et des co-paiements. Les personnes de plus de 65 ans peuvent conserver leur couverture privée ou passer au régime gouvernemental. Cela dit, comme la plupart des provinces, le Québec a un programme restrictif de type assurance-médicaments pour les enfants, les gens à faible revenu et les aînés.

Si le but consistait à s’assurer que chacun ait un accès plus ou moins égal aux médicaments, ce n’est pas très réussi, estime M. Gagnon. « Si on regarde la quantité de gens qui ne remplissent pas des prescriptions pour des raisons financières, on a parmi les taux les plus élevés de l’OCDE. ».

Certains craignent que l’assurance-médicaments nuise à leur assurance-maladie privée ou offerte par leur employeur, comme le RSSFP. Bien que cela soit peu probable pour le RSSFP,  M. Gagnon reconnaît que les employeurs bénéficient de subventions fiscales du gouvernement pour offrir des assurances privées. Avec l’assurance-médicaments, ces subventions pourraient disparaître. Toutefois, il n’y a aucune garantie que ces régimes seront maintenus de toute façon et il est dans l’intérêt de toute la population de travailler dès maintenant à l’obtention d’une couverture minimale acceptable garantie.

Avec la montée en flèche du coût des médicaments, les régimes privés pourraient bien devenir trop coûteux.

Il suffit de quelques membres qui ont besoin de médicaments onéreux pour que les coûts augmentent au point où il n’est plus possible, pour l’employeur, d’offrir le régime.

Les acteurs du secteur de l’assurance ont intérêt à maintenir le système actuel, mais le rapport final publié en 2019 par le Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments, qui est

la feuille de route du gouvernement pour la mise en œuvre, recommande que « les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux collaborent avec les assureurs privés, ainsi qu’avec les employeurs et les employés qui bénéficient de leurs services, afin d’assurer une transition harmonieuse vers le régime national d’assurance-médicaments ».

Le Conseil recommande aussi que « les assureurs privés soient autorisés à couvrir les quotes-parts ainsi que les médicaments qui ne figurent pas sur la liste nationale des médicaments assurés. » Les compagnies d’assurance ont un rôle à jouer dans la souscription et l’assurance de services extérieurs au système de soins de santé, tels que les soins de la vue, les services dentaires, l’assurance voyage et les services paramédicaux offerts par des praticiens, allant des acupuncteurs aux physiothérapeutes.

Des employeurs ont aussi fait part au conseil de leur désir d’offrir de meilleures prestations d’assurance-maladie complémentaire, comme pour les soins de la vue ou les soins dentaires, ainsi qu’une meilleure couverture pour la santé mentale ou d’autres prestations d’assurance-maladie complémentaire. Elles sont possibles, disent-ils, si les pressions sur les coûts liés aux médicaments sont atténuées.

Pour ce qui est de payer l’assurance-médicaments, M. Gagnon et d’autres insistent sur le fait qu’elle est financièrement faisable et durable.

Ce qui dépasse nos moyens, c’est le système en place. Selon les estimations, un régime national et universel d’assurance-médicaments permettrait d’économiser 20 % par habitant sur les dépenses en médicaments. En plus de réaliser des économies, les Canadiens — dont beaucoup n’ont pas de couverture adéquate ou doivent réduire leurs médicaments pour les faire durer plus longtemps en raison du coût — bénéficieraient d’une meilleure couverture et de régimes d’ordonnances plus efficaces qui permettraient d’éviter les prescriptions inappropriées.

Selon M. Gagnon, le choix est clair, d’autant qu’il n’a trouvé aucune recherche indépendante favorable à la situation actuelle. De plus, aucun chercheur ou universitaire indépendant ne s’oppose à la mise en œuvre d’un régime d’assurance-médicaments.

Alors, si l’assurance-médicaments  est meilleure, moins chère et plus efficace, et que les Canadiens la soutiennent, pourquoi n’est-elle pas  déjà en place? C’est là la question. Pour M. Gagnon, cela se résume à un manque de volonté politique. Alors que tousles Canadiens en bénéficieraient, les compagnies d’assurances,les pharmacies et les sociétés pharmaceutiques ont intérêt à maintenir le statu quo. Mais étant donné l’entente entre les libéraux fédéraux et le NPD, il y a encore de l’espoir pour M. Gagnon.

 

Cet article a publié dans le numéro du l'été 2022 du magazine Sage, dans notre rubrique « Bilan santé », qui porte sur des questions de santé et des politiques de santé d’actualité, sous l’optique des enjeux qui touchent les aînés canadiens. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?