Cecil George Harris a sorti son canif et gravé « Si je décède de cet accident, je lègue tout à ma femme » dans la peinture du garde-boue illustré ici. C'est devenu son testament et le tribunal l'a accepté.
Tandis qu’il gisait coincé sous un tracteur et à l’agonie, Cecil George Harris a sorti son canif et gravé les mots suivants dans la peinture du garde-boue : « Si je décède de cet accident, je lègue tout à ma femme. »
Puis, il signa le tout.
C’était en 1948 et ce cultivateur de blé de la Saskatchewan est, effectivement, décédé de ses blessures par la suite. Toutefois, le garde-boue et le canif lui ont survécu. Conservés au College of Law de l’Université de la Saskatchewan, ils constituent un exemple simple sur le fait que songer à votre succession, même dans des circonstances extraordinaires, peut faire la différence.
M. Harris avait abordé les éléments essentiels. Un testament manuscrit ou olographe doit être écrit à la main, sans aucun recours à des procédés mécaniques, comme une machine à écrire ou un ordinateur, et il doit être signé.
En prévision de possibles contestations du testament ainsi découvert, à cause de son caractère si unique, l’avocat de M. Harris a rapidement procédé à l’authentification de son écriture manuscrite sur le garde-boue, en s’appuyant sur huit déclarations sous serment obtenues auprès de ses amis et collaborateurs, dans le district de McGee en Saskatchewan, près de Rosetown. Il a également obtenu une confirmation médicale de la causalité entre les blessures infligées par le tracteur et le décès de M. Harris, étant donné la condition qu’il avait gravée : « Si je décède de cet accident ». Le canif, dont M. Harris s’était servi pour écrire, a également été obtenu.
M. Harris a prouvé que, quand on le veut, on peut rédiger son testament, et ce testament sur garde-boue fut rapidement déclaré valide par le tribunal.
L’histoire a fait les manchettes et elle est parue dans une publication d’un dessin humoristique de Ripley’s Believe It or Not!, dans un journal américain.
« Le testament de Harris est un exemple de brièveté et de lucidité parmi les testaments olographes », conclut Geoff Ellwand dans son long examen de l’histoire de ce document pour la Saskatchewan Law Review en 2014.
Le but d’un testament
Les testaments sont habituellement établis pour tenir compte des personnes qui nous survivront.
Le testament de M. Harris fait preuve de génie pour sa concision et sa clarté, mais son avocat a travaillé d’arrache-pied pour en garantir la validité devant le tribunal. De vagues directives peuvent laisser place à l’interprétation et aux différends, et fréquemment exposer l’exécuteur testamentaire (ou liquidateur de succession) à des litiges.
Avocate en droit successoral depuis plus de 30 ans, Lynne Butler a souvent été témoin de différends, de querelles et de contestations en cour. Selon elle, c’est évitable en grande partie. De plus, dans la plupart des cas, l’exécuteur testamentaire assume le fardeau de ces problèmes.
« Les gens se blessent énormément les uns les autres dans le cadre de successions. La façon dont les gens traitent leur prochain me sidère », mentionne l’avocate qui travaille à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador. « Cela devient tout simplement horrible. Il est inutile de prendre les choses de façon personnelle, mais certains le font. »
Une partie du problème, ajoute Scot Dalton, directeur général chez ERAssure, un fournisseur d’assurance pour exécuteurs testamentaires, réside dans le fait que la personne nommée à titre d’exécuteur testamentaire est souvent un membre de la famille à qui l’on fait confiance, sans que cette personne n'ait nécessairement les compétences pertinentes pour réaliser cette tâche. Ce rôle ne représente pas seulement une obligation familiale, mais aussi légale, qui peut exiger du temps et comporter des risques.
« L’administration d’une succession ressemble à l’exploitation d’une entreprise… Vous devriez également considérer les personnes dotées de certaines compétences », explique M. Dalton, en précisant que la tâche est souvent plus longue et laborieuse que ce à quoi les parties concernées s’attendent.
Ne servez pas de paratonnerre
Pour éviter les pièges et les difficultés, l’astuce consiste à passer par les étapes de la planification de la succession et du testament.
Un exécuteur testamentaire devant se résoudre à interpréter les volontés présentes dans un testament vague ou comportant des incohérences peut devenir la cible des querelles et des litiges qui en découlent.
Il peut également trouver cette tâche accablante, qui peut facilement s’étirer sur plus de deux ou trois années, et demander à être indemnisé par la succession, souvent au grand regret des légataires, ce qui peut entraîner de nouveau de possibles contestations. Une disposition sur l’indemnisation dans le testament ne laisse aucune place au débat.
Le legs d’un chalet à partager entre tous les enfants est souvent épineux. Me Butler suggère d’ajouter la possibilité que l’un des légataires l’achète en utilisant sa part de l’héritage comme mise de fonds, afin de faciliter la transition.
Un compte ou un prêt bancaire conjoint pourrait également poser problème. Un testament qui précise qu’un prêt accordé à l’un des enfants sera déduit de sa part de l’héritage, par exemple, peut clarifier la volonté du testateur.
De plus en plus, Me Butler intègre des articles ménagers dans le testament, pour éviter toute confusion ultérieure. Cependant, Mark O’Farrell, directeur général du Canadian Institute of Certified Executor Advisors, suggère de faire don ou de se débarrasser des articles qui ne servent plus maintenant.
« Réfléchissez méthodiquement à la façon dont vous rédigerez votre testament », suggère M. O’Farrell, dont l’organisation offre des formations et des ressources aux exécuteurs testamentaires. « Il est essentiel de comprendre la situation dans son ensemble avant de rédiger son testament. »
Il recommande de tenir compte de tout, des objets de valeur dans le domicile aux divers autres actifs et biens immobiliers. Réglez tout ce que vous pouvez au préalable et réduisez la charge de travail qui incombera à la succession. Commencez modestement, en faisant le tour de la maison et le grand ménage des articles accumulés au fil des ans et devenus inutiles, comme cette figurine sur l’étagère ou le vieux service à thé en argent de la famille, suggère-t-il. En donnant ces effets personnels à l’avance, vous vous assurez non seulement que vos objets de valeur aboutiront entre les mains des personnes de votre choix, mais aussi de simplifier les choses au moment de réduire la taille de votre domicile.
Si vous avez des fiducies, assurez-vous qu’elles sont actualisées et dotées d’un financement adéquat. Si vous disposez d’assurances et d’autres produits financiers, veillez à en actualiser la liste des bénéficiaires.
Si vous planifiez un testament olographe, vous devez le rédiger à la main et respecter les exigences provinciales. S’il est ultérieurement jugé invalide, cela pourrait provoquer la pagaille.
Le testament de M. Harris prouve que les testaments extraordinaires et simples peuvent satisfaire aux exigences. Il montre également que bien des gens ne sont simplement pas préparés. Malgré ses blessures et son agonie, M. Harris a tout de même veillé à laisser des directives, si brèves soient-elles.
L’un des obstacles auquel se heurtent certaines personnes ayant pris le temps d’envisager leur testament est de ne pas en avoir communiqué le contenu. Il faut laisser savoir à l’exécuteur testamentaire que ce rôle lui a été attribué, et lui montrer le contenu du testament durant sa rédaction. Cela lui permet de poser des questions ou même de suggérer des modifications à apporter pour en assurer la clarté.
En plus du testament, il faut également tenir compte des polices d’assurance-vie, des fonds enregistrés de revenu de retraite (FERR), des régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER) ainsi que des incidences fiscales, des biens, des entreprises et, peut-être, d’enfants adultes en situation de handicap physique ou d'un autre ordre. En abordant toutes ces questions, vous réduirez la charge de travail de l’exécuteur testamentaire.
« Tous ces éléments doivent coexister, comme les pièces d’un casse-tête. Le testament doit en tenir compte. », explique Me Butler, qui consacre habituellement une heure à la consultation avec le testateur, afin de parler des points devant être abordés dans le testament.
« Voici mon principal objectif : comment indiquerez-vous vos volontés de sorte que, lorsque vous ne serez plus des nôtres pour en discuter, tout le monde sache comment les respecter? À mon avis, cela commence par le testament, puisque l’exécuteur testamentaire est tenu d’en suivre les directives. Ainsi, plus le testament est bien fait, plus son exécution en sera facilitée. »
Le garde-boue de M. Harris a été conservé au tribunal de Kerrobert, en Saskatchewan, pendant près de 50 ans, jusqu’à la fermeture de ses portes en 1997. Le garde-boue et le canif ont ensuite été remis au College of Law de l’Université de la Saskatchewan, à Saskatoon, où ils servent d’instruments d’enseignement.