Le plan de la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, de quitter le régime de pensions du Canada et de démarrer le sien, est imparfait à de nombreux égards.
La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, s’était fait un point d’honneur de ne pas faire campagne pour retirer sa province du Régime de pensions du Canada (RPC). Et pourtant, elle va maintenant de l’avant avec ce dossier et estime que la province a droit à 53 % de l’actif du RPC, soit 334 milliards de dollars. Et le Conseil du Trésor et le ministère des Finances de l’Alberta ont commandé un rapport à LifeWorks, qui dit exactement cela. Et maintenant, la première ministre déclare aux Albertains que le transfert des actifs du RPC à leur province se traduirait par des chèques de paie plus juteux et une retraite plus confortable pour eux.
On peut ergoter en long et en large sur l’affirmation selon laquelle l’Alberta devrait obtenir 334 milliards de dollars d’actifs de l’Office d’investissement du RPC (OIRPC), alors que cette province n’est responsable que de 16 % de toutes les cotisations au RPC. Les conclusions du rapport de LifeWorks sur le possible régime de pensions de l’Alberta (RPA) sont fondées sur ce qu’il qualifie d’« interprétation alternative » des dispositions de la loi sur le RPC relatives au transfert d’actifs. Si la formule était appliquée à d’autres provinces, par exemple l’Ontario, et qu’il décidait de quitter le régime national en premier, sa portion et celle de l’Alberta dépasseraient l’ensemble du fonds de l’OIRPC. Par conséquent, la formule erronée invalide la plupart des conclusions du rapport.
L’« interprétation alternative » repose sur des hypothèses qui n’ont aucun fondement, ni dans la législation ni dans le contexte du RPC moderne. Cela dit, la cause fondamentale de l’élaboration d’une quelconque formule découle de plusieurs problèmes liés à la législation. Tout d’abord, le langage utilisé au sujet du retrait a été créé alors que le régime avait un actif minimal. Il n’est donc pas adapté à l’important fond du RPC d’aujourd’hui. Ensuite, la législation est vague et il n’y a pas d’interprétation juridiquement claire qui mène à une répartition convenable des actifs en termes pratiques.
Enfin, la législation énonce que le ministre fédéral des Finances décidera. Et, si l’Alberta se retire du RPC, le gouvernement fédéral versera un montant calculé en fonction de la façon dont il interprète la législation. On peut imaginer les arguments prolongés, les poursuites judiciaires et les objections sérieuses des autres provinces, sans compter que l’unité canadienne figurerait parmi les nombreuses victimes.
À l’Association nationale des retraités fédéraux, nous défendons les pensions de tous nos membres et des pensions sûres pour tous les Canadiens, y compris le RPC. Perdre leur RPC, après y avoir cotisé pendant toute leur carrière, pourrait être désastreux pour nos membres et pour les Canadiens, car beaucoup dépendent de ce régime. Un sondage rapide mené par courriel jeudi par l’Association a récolté 8 100 réponses de nos 170 000 membres dans les premières heures, dont 95 % ont déclaré qu’ils s’opposaient au plan de l’Alberta de se retirer du RPC. Bon nombre d’entre eux ont fait remarquer que le RPC est une portion essentielle de leur revenu de retraite et que la perte d’une quelconque portion modifierait leur capacité de payer leurs factures. Tous les Canadiens méritent la sécurité du revenu de retraite, et affaiblir le RPC pour tous les Canadiens est inacceptable.
Heureusement, Mme Smith a dit que la province tiendrait un référendum avant de présenter une demande de retrait du RPC. Un sondage mené par Léger avant les élections de mai a révélé que seulement 21 % des Albertains appuient ce changement et que, même au sein du Parti conservateur uni de Mme Smith, seulement 33 % le voient d’un bon œil.
Bien que Mme Smith, soutenue par les conclusions du rapport, affirme que le Régime de pensions de l’Alberta (RPA) sera plus robuste que le RPC et pourrait même produire des « versements de primes » se situant entre 5 000 $ et 10 000 $ pour les Albertains à la retraite, cela pourrait rendre leurs pensions moins viables et plus coûteuses à long terme, à vrai dire. Le cas du Québec sert de mise en garde. Il a choisi de faire cavalier seul, pensant que sa population resterait jeune, mais cela n’a pas été le cas et, maintenant, les Québécois paient les taux de cotisation les plus élevés au Canada. Les projections démographiques de l’Alberta suggèrent que la même chose pourrait arriver aux taux de cotisation du nouveau RPA.
Il est surprenant que Mme Smith, fervente adepte présumée d’un gouvernement à taille réduite, trouve la création d’un nouveau régime attrayante, car la propre estimation de LifeWorks pour la mise en place d’un nouveau régime pour l’Alberta seulement évalue les coûts administratifs de son maintien à deux milliards de dollars, voire plus.
Enfin, le départ de l’Alberta aurait un effet négatif sur le RPC et des répercussions financières sur les travailleurs et les retraités à l’extérieur de l’Alberta. Déstabiliser et affaiblir un véhicule de retraite solide comme le RPC, ce n’est pas ce que les Canadiens retraités ou ceux qui travaillent à la retraite ont négocié. Ils ne méritent pas cela.
Anthony Pizzino est le directeur général (DG) de l’Association nationale des retraités fédéraux.
Cet article a été initialement publié par le Globe and Mail le 26 septembre 2023. (article en anglais)