Nicholas Thompson a constaté beaucoup de discrimination au cours de sa vie et cela lui a insufflé un sens de la justice et lui a donné le courage de s’exprimer. Photo : Eduardo Lima
Dans sa jeunesse à Trinité-et-Tobago, Nicholas Marcus Thompson a souvent été témoin de discrimination. Né d’un père d’origine trinidadienne, espagnole et indienne et d’une mère de descendance africaine et autochtone des Caraïbes, sa communauté comptait des personnes de toutes les couleurs de peau et de toutes les textures de cheveux. Une texture ou une couleur différente signifiait parfois un traitement différent. Cela a éveillé chez M. Thompson un sens de la justice et lui a donné le courage de s’exprimer.
Résident de Toronto et ancien président de syndicat, ce père de trois enfants compte de nombreuses réalisations à son actif et cumule plusieurs certifications qui s’articulent autour d’un seul concept : l’égalité. Aujourd’hui, en sa qualité de directeur général du secrétariat du Recours collectif noir, M. Thompson est à l’avant-garde du changement dans la fonction publique. En 2020, le groupe a intenté une poursuite contre le gouvernement fédéral, alléguant que la fonction publique a agi de façon discriminatoire à l’égard des Canadiens noirs en ne les embauchant pas et en ne leur accordant pas de promotion en raison de leur race. M. Thompson et 11 autres principaux plaignants réclament 2,5 milliards de dollars en dommages et intérêts au nom de près de 50 000 Noirs pour des faits remontant aux années 70, lorsque les Nations unies ont adopté la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Pourquoi 2,5 milliards? D’après leurs dossiers et les informations fournies par un cabinet de consultation externe, environ 50 000 Canadiens noirs ont postulé à un emploi ou ont travaillé au sein du gouvernement fédéral depuis le 14 octobre 1970, date à laquelle le Canada a ratifié la Convention.
En examinant les antécédents professionnels des personnes qui se sont manifestées jusqu’à présent, on peut calculer que la pertede salaire, de pension et d’autres avantages, ainsi que la douleur et la souffrance, s’élève à environ 50 000 $ par personne. Cette analyse tient compte du fait que ces personnes répondaient ou non aux exigences des postes pour lesquels on ne les a pas retenues, ainsi que de l’inflation et des augmentations de salaire ultérieures. Le calcul est différent pour les personnes qu’on n’a jamais embauchées, par exemple celles qu’on a convoquées à une entrevue, mais qu’on n’a jamais rappelées. À l’heure actuelle, M. Thompson et son équipe disposent de peu de données sur ce groupe, mais l’audience portant sur l’accréditation qui devait avoir lieu en octobre (après la mise sous presse de ce magazine) pourrait obliger le gouvernement à fournir les noms et les coordonnéesde toutes les personnes noires dans la fonction publique, ainsi que de celles qui ont posé leur candidature et qu’on n’a pas embauchées.
Bien qu’il soit le visage de la poursuite, M. Thompson explique rapidementque les syndicats sont au cœur des efforts déployés. Issu d’une famille de syndicalistes de Trinité-et-Tobago, il estime que c’est grâce aux groupes de travailleurs que les Canadiens bénéficient aujourd’hui d’avantages sociaux comme les congés de maladie et le congé de maternité.
M. Thompson se souvient de l’une des premières fois où il s’est mobilisé pour le changement. À l’âge de 13 ans, il s’est retrouvé au centre d’une manifestation après qu’un agent de sécurité de l’école a frappé un élève. « Je m’étais dit : “C’est inacceptable!” ». Il a encouragé ses camarades à se joindre à lui pour changer les choses. M. Thompson n’a pas été puni — le directeur a admis qu’il n’avait enfreint aucune règle —, mais sa mère a dû se rendre à l’école. « Sur le chemin du retour, elle m’a souri d’une manière qui m’a fait comprendre qu’elle ne désapprouvait pas ce que j’avais fait. »
Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires à l'âge de 16 ans, il est arrivé au Canada. « J’étais tellement heureux et fier. Quand on vient d’une île des Caraïbes, on entend parler du Canada et de toutes ses merveilles, comme l’odeur de la neige. Lorsque je suis sorti de l’aéroport Pearson par un temps glacial, je l’ai sentie. »
En vivant dans le quartier Malvern à Scarborough, en Ontario, M. Thompson a été exposé aux nombreuses activités de gangs, mais il est resté dans le droit chemin, fidèle à son caractère discipliné. Il a trouvé des emplois à la CIBC et à la Banque de Montréal, ainsi qu’à Bell Canada. Après avoir commencé des études à l’Université de Toronto, sa situation l’oblige à abandonner au bout de deux ans.
Selon M. Thompson, ses études ont souffert du fait qu’il travaillait à temps plein et qu’il avait des enfants en bas âge. « Je n’arrivais pas à me maintenir à flot. Je suis un père de famille dévoué », explique-t-il. « J’essaie d’être un père exemplaire, ce qui implique de lutter contre le stéréotype des pères inactifs dans ma communauté. »
En 2015, M. Thompson a décroché son premier emploi dans la fonction publique, à l’Agence du revenu du Canada. « Lorsque je suis entré en poste, j’étais ravi, plein d’ambition et d’espoir, et je me suis dit que si je travaillais dur, j’aurais accès à des possibilités », confie-t-il. « J’ai été honoré, en tant que citoyen naturalisé, de pouvoir servir la population canadienne au sein d’un ministère qui soutenait chaque Canadien. Pour moi, c’était très important. »
Très vite, M. Thompson commence à constater de la discrimination : plus particulièrement, on prive les Noirs de certaines possibilités. Et cela se fait sans enfreindre aucune règle, par des « embauches discrétionnaires » — des postes temporaires qui servent en fin de compte à étoffer le curriculum vitæ des candidats et à les faire avancer dans leur carrière. D’après son expérience, ces possibilités étaient surtout offertes aux Blancs. Comme la législation ministérielle permet la subjectivité dans ces situations, il n’y a pas de recours possible.
J’étais donc là, jeune homme noir, essayant de me présenter pour faire changer les choses — non seulement en ce qui concerne la discrimination, mais aussi la sécurité de l’emploi, les horaires précaires et les mesures d’adaptation. […] J’ai gagné avec une majorité écrasante. Cela m’a vraiment surpris. Je n’arrivais pas à croire que je pouvais insuffler autant d’espoir et de crédibilité. »
Et, comme l’a montré la Commission canadienne des droits de la personne l’année dernière, les plaintes relatives à ce processus sont trop souvent ignorées. « C’est inquiétant », dit-il simplement.
« Le droit à un recours efficace relève du droit international ».
C’est pourquoi, lorsque les élections au Syndicat des employé-e-s de l’impôt ont eu lieu en 2017, ce bureaucrate débutant a décidé de se porter candidat à la présidence de la section locale de Toronto-Nord.
« J’ai probablement été la première personne noire à me présenter à la présidence », souligne-t-il. « En général, des hommes blancs plus âgés dirigeaient le syndicat jusqu’à leur retraite. J’étais donc là, jeune homme noir, essayant de me présenter pour faire changer les choses – non seulement en ce qui concerne la discrimination, mais aussi la sécurité de l’emploi, les horaires précaires et les mesures d’adaptation. Je voulais qu’on entre dans l’ère numérique et qu’on rende la représentation plus accessible. J’ai gagné avec une majorité écrasante. Cela m’a vraiment surpris. Je n’arrivais pas à croire que je pouvais insuffler autant d’espoir et de crédibilité. »
M. Thompson a mis au point des systèmes et a créé de nouvelles façons de faire le suivi des problèmes des membres, des processus qui se sont révélés très utiles lorsque le travail à distance a été obligatoire. Son approche relative au changement a toutefois suscité beaucoup d’opposition. À son avis, les syndicats sont favorables à de nombreux avantages, mais la discrimination n’est pas un sujet à défendre, parce qu’elle a permis aux dirigeants de rester au pouvoir pendant si longtemps.
M. Thompson a été président de sasection locale pendant deux ans et s’est même présenté aux élections fédérales de 2019 comme représentant du NPD dans la circonscription de Don Valley-Est.
Dès le départ, Larry Rousseau a été un allié dans les efforts d’inclusion de M. Thompson. À titre de vice-président exécutif du Congrès du travail du Canada, M. Rousseau a traité des dossiers liés aux minorités visibles et aux membres de la communauté LGBTQ au sein de l’un des plus grands syndicats de la fonction publique. Ces intérêts lui tiennent à cœur, car il s’identifie à ces deux groupes marginalisés.
M. Rousseau décrit M. Thompson comme étant entêté.
« Nicholas aura toujours la réputation d’être une personne qui fait avancer les choses. » Lorsqu’on lui demande si le procès existerait sans M. Thompson, M. Rousseau déclare clairement que non.
« Certains diront qu’il a tout faittout seul. Il s’est vraiment investi. Si quelqu’un lui demande “Faut-il attendre?”, il répond toujours : “Si on ne le fait pas maintenant, quand le fera-t-on? Nous attedons depuis bien trop longtemps.” »
Les choses n’ont pas toujours été faciles, reconnaît M. Thompson.
« Cela a eu des répercussions sur ma vie de famille, car je dois souvent m’absenter », indique-t-il. « Ce travail s’accompagne de nombreux sacrifices. »
Outre la poursuite, le secrétariat du Recours collectif noir a dressé un plan d’action qui semble se concrétiser : Les Canadiens noirs sont sur le point d’être reconnus comme un groupe distinct dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi; un comité sénatorial a recommandé la création d’une commission sur l’équité pour les Noirs; et le gouvernement a créé un fonds de 10 millions de dollars pour la santé mentale des communautés noires.
Mais en ce qui concerne la rémunération, aucune offre n’a été faite.
M. Thompson affirme que les personnes qu’il représente souhaitaient gravir les échelons de la fonction publique, mais qu’elles se sont plutôt retrouvées à occuper un deuxième emploi. « De façon disproportionnée, ce sont des femmes célibataires qui se retrouvent au seuil de la pauvreté après des décennies de travail de bureau. La rémunération est indispensable. »
En octobre, l’audience portant sur l’accréditation tant attendue devait avoir lieu et pouvait entraîner le rejet, la modification ou l’approbation de la poursuite. M. Thompson fait preuve de prudence, mais il croit que la poursuite ira de l’avant, malgré le fait que le gouvernement la conteste.
« Le gouvernement a déjà mis en œuvre un grand nombre des mesures que nous avons demandées. Je demande au gouvernement de régler cette affaire. Pourquoi dépense-t-il l’argent des contribuables pour la contester? »
« En tant que fonction publique canadienne, nous devons imposer ces changements. Le Canada est un pays extraordinaire. Mais sans la participation de tout un chacun, le Canada est privé de ses droits. Un jour, j’espère qu’il sera possible pour le Canada de concrétiser la position qu’il prétend occuper, soit celle de symbole d’espoir pour les droits de la personne. »