Colleen Flood, directrice du Centre de droit, politique et éthique de la santé de l’Université d’Ottawa, partage sa vision de la transformation des soins de longue durée.
Depuis une dizaine d’années ou plus, on reconnaît de plus en plus que le système canadien de soins de longue durée (SLD) a besoin d’une refonte majeure. Avec une régularité déprimante, les médias de partout au pays racontent des histoires choquantes de négligence et de mauvais traitements dans les foyers de soins infirmiers et les maisons de retraite, en pointant parfois du doigt des causes sous-jacentes et systémiques : une dépendance excessive à l’égard de soins institutionnels coûteux, une réglementation laxiste en matière de qualité et de sécurité, et l’intensification des besoins en matière de soins des personnes âgées qui n’ont pas d’autre choix que de rester dans le système. La COVID-19 a ravagé ce système déjà défaillant, mettant à nu ses nombreuses vulnérabilités. Parmi les décès confirmés et probables liés à la COVID-19 au Canada, 85 % se sont produits dans des établissements de SLD, ce qui est beaucoup plus élevé que dans les pays comparables examinés dans une étude récente (en anglais) menée par le ministère de la Santé et des Services sociaux des États-Unis.
- Une véritable tempête
- Il est temps d’apporter des réformes
- Tirer des leçons de l’assurance-maladie
- Prochaines étapes
Une véritable tempête
Plusieurs facteurs ont concouru à produire ces résultats désastreux. Les gouvernements ont donné la priorité au contrôle des infections dans les hôpitaux, renvoyant les patient·e·s infectés dans les foyers de SLD et déclenchant des épidémies. Les établissements de SLD n’ont pas été dotés d’équipements de protection individuelle adéquats et n’ont pas appliqué les mesures de lutte contre les infections. Les tests et le dépistage étaient insuffisants, alors même que le personnel contractuel se déplaçait d’un établissement de SLD à l’autre, en dépit de leur salaire de misère sans congés de maladie payés.
Aussi graves soient-elles, ces défaillances ne sont que des symptômes de problèmes plus profonds dans la gouvernance des SLD canadiens. L’un de ces problèmes est l’absence de responsabilité au niveau politique. Environ 4 % des Canadien·ne·s âgés de plus de 65 ans vivent dans des établissements de SLD. Même si cette proportion est supérieure à celle de la plupart des pays, il s’agit d’un segment de la société qui, du fait du nombre de personnes qui le composent, est facilement marginalisé dans la course à l’attention et aux ressources publiques, sans compter les facteurs aggravants que sont l’âgisme, le handicap et le sexisme (les femmes sont surreprésentées, tant parmi les résident·e·s que le personnel des SLD). Le deuxième problème est la dépendance, dans certaines provinces, par exemple en Ontario, à l’égard des fournisseurs privés à but lucratif, souvent enclins à faire plus de profits en faisant travailler moins de personnel. Un troisième problème est la réglementation inadéquate : les lecteur·trice·s savent peut-être, par exemple, comment le régime d’inspection des établissements de soins de longue durée de l’Ontario avait ralenti jusqu’à être quasiment au point mort dans les années précédant la pandémie. Un rapport de la CBC (en anglais) a révélé que seuls 9 des 626 foyers de la province ont reçu une évaluation complète de la qualité en 2018.
Il est temps d’apporter des réformes
Sans réformes majeures dans la façon dont les SLD sont organisés, financés et réglementés, ces défis ne feront que s’intensifier à mesure que la population canadienne vieillira au cours des prochaines décennies. Un rapport récent du National Institute on Ageing (NIA) prévoit que les coûts des soins de longue durée augmenteront de plus du triple en dollars réels d’ici 2050, engloutissant près de 20 % des recettes provenant des impôts sur le revenu des particulier·ère·s, fédéraux et provinciaux. (Vous pouvez consulter le résumé du rapport en français ou la version intégrale du rapport en anglais.) La baisse des taux de fécondité et les changements socio-économiques devraient entraîner une réduction de 30 % de la disponibilité des soins non rémunérés au cours de la même période.
De manière générale, trois types de réformes sont nécessaires : de nouveaux investissements dans les établissements de SLD, associés à des normes de qualité claires et applicables (notamment en matière de dotation en personnel); des investissements dans les soins à domicile, afin qu’un plus grand nombre de personnes puissent « vieillir chez elles »; et un soutien aux prestataires de soins informels, notamment des programmes de répit, des congés, des prestations en espèces et de la formation.
Bien entendu, il est notoirement difficile d’obtenir une coopération fédérale et provinciale/territoriale autour de réformes systémiques dans ce domaine. Pour les provinces, les soins de santé représentent déjà environ 37 % des dépenses de programme, ce qui crée une réticence compréhensible à prendre de nouveaux engagements fiscaux à long terme en matière de SLD. Une solution évidente serait que le gouvernement fédéral utilise son pouvoir d’achat, comme il le fait avec l’assurance-maladie, pour inciter les provinces à ratifier des normes nationales sur les SLD. Cependant, les provinces sont lasses de l’engagement financier vacillant du gouvernement fédéral envers l’assurance-maladie et exigeraient un investissement fédéral initial important, assorti d’une garantie de durabilité à toute épreuve.
Tirer des leçons de l’assurance-maladie
En adoptant cette approche pour des réformes nationales des SLD, nous pouvons tirer des leçons de nos expériences avec l’assurance-maladie. L’u.en des principales leçons porte sur l’importance de la transparence et de la responsabilité. Les normes nationales sur les SLD devraient exiger que chaque province/territoire mette sur pied un comité indépendant — sans représentation du gouvernement ou de l’industrie, sauf aux fins d’observation — afin d’établir des normes visant les établissements de SLD, les maisons de retraite et les soins à domicile. Ces normes doivent comprendre des processus formels d’évaluation des besoins individuels des résident·e·s, qui déclencheront à leur tour des exigences formelles en termes de niveaux de dotation en personnel, de formation, etc.
De plus, des rapports transparents doivent être fournis au sujet du rendement des établissements par rapport à ces normes, sous l’égide d’un organisme de réglementation indépendant. Ces groupes indépendants devraient rendre des comptes non seulement à leur propre gouvernement provincial, mais aussi directement au gouvernement fédéral, ce qui nous permettrait d’identifier les provinces affichant le meilleur rendement et de tirer des leçons de leurs réussites, ainsi que de déterminer les provinces qui prennent du retard. En guise de contrôle supplémentaire de la qualité des soins, le gouvernement fédéral devrait financer un·e protecteur·trice des personnes âgées, à qui on pourrait s’adresser lorsque les normes établies ne sont pas respectées.
Un nouveau financement et de nouvelles normes de qualité pour le secteur formel des SLD ne suffisent pas : nous devons également renforcer le soutien aux aidant·e·s naturels, qui apportent une énorme contribution à notre société, souvent au prix d’importantes perturbations dans leur vie et leur carrière. Il existe de nombreuses options politiques dans ce domaine, notamment une législation sur les congés avec protection de l’emploi, des horaires de travail flexibles et l’amélioration des prestations de sécurité sociale pour les aidant·e·s naturels. Il est également possible de mettre à l’essai des politiques dans ce domaine. Plus de 50 % des pays de l’OCDE ont connu un certain succès avec des régimes de prestations en espèces pour les soins, à savoir des transferts publics directs aux bénéficiaires de SLD (ou à leurs aidant·e·s naturels) pour soutenir les soins à domicile, qu’ils soient dispensés par la famille et les ami·e·s ou par des prestataires officiels.
Prochaines étapes
La pandémie de COVID-19 est un test de résistance permanent sur la façon dont les pays protègent leurs populations plus vulnérables. Les résultats sont maintenant connus et le système canadien de SLD a lamentablement laissé tomber notre population âgée. Les Canadien·ne·s qui vivent dans des établissements de soins de longue durée et leurs familles, ainsi que les Canadien·ne·s qui pourraient avoir besoin de soins à l’avenir, méritent que l’on fasse le point et que l’on emprunte une voie de réforme audacieuse. Le gouvernement fédéral devrait mettre sur pied une commission royale pour définir cette voie de réforme, y compris les dispositions d’une nouvelle législation fédérale de partage des coûts pour les soins de longue durée. Le fait qu’un pays si fier de son système de santé universel fasse preuve d’une négligence politique aussi profonde et prolongée dans la sphère adjacente des soins de longue durée constitue un scandale. Si vous êtes d’accord, il est temps de faire connaître vos sentiments à vos élu·e·s à tous les niveaux du gouvernement.
Note de Retraités fédéraux
Retraités fédéraux demande un financement fédéral durable lié à des principes et à des normes nationales pour les soins de longue durée, dotés de mécanismes qui en assurent le respect et élaborés en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux.