Il est temps d’aller de l’avant

16 mai 2024
Homme regardant l’appareil photo.
Une convention des Nations Unies sur les droits des personnes âgées est essentielle pour garantir la protection des droits et du bien-être des personnes âgées, au Canada et ailleurs dans le monde.
 

Demandez à Margaret Gillis pourquoi il faudrait une convention des Nations Unies sur les droits des personnes âgées au Canada, et elle vous donnera spontanément plusieurs raisons. Selon elle, si l’âgisme a toujours été présent, la pandémie a eu des répercussions sur les personnes âgées, dont le taux de mortalité a été le plus élevé au Canada. Puis il y a eu le « dôme de chaleur » en Colombie-Britannique, où les deux tiers des personnes décédées étaient des personnes âgées. Mme Gillis fait remarquer qu’il ne faut pas oublier la Loi pour plus de lits et de meilleurs soins de l’Ontario, qui permet au gouvernement de la province d’« expédier », selon ses propres mots, des résidents à une distance pouvant aller jusqu’à 150 kilomètres de leur domicile, sans leur autorisation, sous peine de se voir infliger de lourdes amendes.

Mme Gillis est la présidente fondatrice du Centre international sur la longévité au Canada (ILC) et la présidente de l’International Longevity Centre Global Alliance, qui regroupe 16 pays. Depuis 2015, elle s’efforce de faire accepter cette convention par les États membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et estime qu’elle est nécessaire au Canada.

« La Déclaration universelle des droits de l’homme a été initialement rédigée par un Canadien, John Peters Humphries », rappelle-t-elle. « Mais, en raison de la situation démographique des années 1940, l’âge n’a jamais été mentionné. Nous voulons une convention qui aborde réellement la question de l’âge et de l’âgisme. Bien que ces droits figurent dans la Constitution, ils ne sont pas respectés. Nous considérons la convention comme une deuxième série de lois qui amèneront les gouvernements à se pencher sur la façon dont nous pouvons faire respecter ces droits. »

L’autre avantage de la convention est qu’elle donne aux organisations de la société civile, comme Retraités fédéraux, la possibilité d’exprimer leurs doléances concernant les mesures prises par les pays qui ont mis en place la convention. Tous les cinq ans, les gouvernements des États membres devraient se présenter devant le Tribunal des droits de la personne et défendre les initiatives qu’ils ont déployées pour renforcer les droits des personnes âgées. Des organisations de la société civile peuvent également y faire des présentations.

« Nous avons constaté que cela fonctionnait très bien pour les femmes et d’autres groupes, et que ces droits progressaient », explique Mme Gillis.
 

La position du Canada

Le gouvernement canadien ne s’est pas prononcé en faveur de la convention, mais il a déclaré en 2018 qu’il « laissera la porte ouverte » à une telle convention. Six ans plus tard, on pourrait pardonner à des groupes comme ceux de Mme Gillis de penser que cette porte est en train de se refermer.

Comme le Canada a toujours accueilli cette idée avec tiédeur, la communauté des organisations non gouvernementales (ONG) a formé la Coalition canadienne anti-âgisme afin de mobiliser un soutien populaire pour la convention. Ce sujet suscite un grand intérêt. L’année dernière, un tiers des nouveaux demandeurs de participation aux discussions sur la convention à l’ONU étaient canadiens.

En 2023, Retraités fédéraux faisait partie de ce groupe d’ONG canadiennes. L’Association est aussi l’une des organisations fondatrices de la Coalition canadienne anti-âgisme.

« À l’heure actuelle, il n’existe pas de normes internationales universellement applicables pour protéger les droits des personnes âgées », souligne Anthony Pizzino, directeur général de Retraités fédéraux. « Par conséquent, des millions de personnes âgées vivent sans avoir accès aux services sociaux et de santé dont elles ont besoin et subissent de la discrimination âgiste. Et le Canada n’est pas à l’abri de ces problèmes. »

Selon Retraités fédéraux, une convention protégerait les droits des personnes âgées, reconnaîtrait leurs précieuses contributions économiques et sociales et fournirait un cadre global et cohérent pour un monde exempt d’âgisme et de discrimination fondée sur l’âge.

« C’est une idée qui semble aller de soi pour tout pays qui prétend avoir à cœur les intérêts supérieurs des personnes âgées », déclare M. Pizzino. « Le manque d’engagement de la part du Canada laisse notre organisation perplexe. »

Mme Gillis ajoute : « Nous prenons position et notre ministre de l’époque, Kamal Khera, ainsi que notre ambassadeur de l’ONU, Bob Rae, ont tous deux indiqué à l’ONU qu’au Canada un grand nombre d’organisations internes appuyaient cette idée. » Mais le gouvernement n’a pas emboîté le pas.

« Je me suis entretenue avec [l’actuel ministre des Aînés] Seamus O’Regan le 29 février et il m’a répété la même chose : «Nous sommes ouverts à cette idée». Je trouve très étonnant que le gouvernement canadien, qui est depuis longtemps l’un des plus progressistes au monde et qui a toujours défendu les droits de la personne devant les Nations Unies, n’ait pas mis la main à la pâte. »

Lorsque l’Association a posé la question au bureau de M. O’Regan, la réponse a été la suivante : « Le Canada continue de participer aux discussions relatives à la convention des Nations Unies sur les droits des personnes âgées avec des intervenants et des partenaires, à l’échelle nationale et internationale. »

Le bureau de M. O’Regan a indiqué que, dans le même ordre d’idées, il s’employait à créer de « nouvelles peines sévères » en vertu du Code criminel, « étayées par une définition de la maltraitance des aînés », afin de s’assurer qu’il est bien entendu que les personnes qui maltraitent les personnes âgées sont des criminels.

Philippe Poirier-Monette, conseiller spécial aux relations gouvernementales pour le Réseau FADOQ, une organisation de personnes âgées du Québec, reconnaît que c’est un non-sens.

« Le Canada défend depuis longtemps les droits de la personne », rappelle M. Poirier-Monette. « Il a l’occasion de convaincre les États membres d’adopter cette convention. »

Pour sa part, Mme Gillis affirme que son groupe a reçu des « réponses mièvres » pour expliquer les raisons de ce refus, mais elle souligne que M. O’Regan a au moins promis de se pencher sur la question.

« Je suppose que nous devons le croire sur parole », dit-elle. « La décision revient cependant au cabinet. Il doit convaincre ses collègues et le premier ministre d’appuyer la convention et, jusqu’à présent, il n’y est pas parvenu ».

Pour les partisans de la convention, le Canada figure actuellement sur la liste des pays qui ne soutiennent pas la convention, car tant qu’on n’a pas obtenu un « oui » définitif, on considère qu’il s’agit d’un « non ».
 

Ce qu’il en coûte de dire oui

Mme Gillis pense que le Canada hésite à signer la convention parce qu’elle entraînera des coûts qui devront être engagés pour améliorer le système de soins de longue durée ou pour éviter tout préjudice dans le système de santé, comme ce fut le cas lors de la pandémie.

« C’est une question de formation et de changement organisationnel », explique-t-elle. « Parce que le gouvernement sera mis sous pression. »

Certains de ces changements devraient être apportés dans les communautés autochtones, comme l’a affirmé Ovide Mercredi, ancien chef de l’Assemblée des Premières Nations et ambassadeur de l’ILC, aux parties intéressées à l’ONU l’année dernière, lorsqu’il a participé à un panel sur les droits à la santé des personnes âgées.

« [Les soins de santé au Canada sont] universels pour certaines personnes, mais pas pour tout le monde », a déclaré M. Mercredi. « Bon nombre de personnes âgées qui ont besoin de soins médicaux doivent quitter leur communauté et aller dans des endroits éloignés, sans famille et, dans certains cas, où les gens ne parlent pas leur langue. Beaucoup d’entre eux meurent là-bas. »

M. Mercredi a mentionné que le racisme existe au Canada et qu’il en a subi. Il a, par exemple, dit qu’il n’y a pratiquement pas de soins de longue durée pour les personnes âgées des Premières Nations parce qu’il n’y a pas d’établissements dans leurs communautés éloignées. S’il est vrai que l’ONU a une Déclaration des droits des peuples autochtones, il ne s’agit pas d’une convention.

« En ce qui concerne la convention sur les droits des personnes âgées, je vois là une occasion de protéger les Autochtones », a signalé M. Mercredi à l’auditoire.
 

L’importance transversale de l’âgisme

L’âgisme est un préjugé inconscient qui influe sur la façon dont les gens pensent, se sentent et se comportent à l’égard des personnes âgées. Traditionnellement, il n’est pas flagrant, mais il est devenu beaucoup plus apparent pendant la pandémie, lorsque les gens ne pouvaient plus obtenir de lits d’hôpitaux ou de respirateurs en raison de leur âge, explique le Dr Kiran Rabheru, professeur de psychiatrie et gérontopsychiatre à la retraite, qui a consacré sa carrière à s’occuper des personnes âgées et à étudier leurs problèmes.

« Pendant la pandémie, ces personnes ont été négligées, maltraitées, marginalisées ou privées de liberté. On ne leur prodiguait pas les soins nécessaires parce qu’elles étaient âgées », affirme M. Rabheru.

À peu près au même moment, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié son Rapport mondial sur l’âgisme, et M. Rabheru a compris que l’âgisme était la clé de l’énigme.

« Il est devenu évident que [l’âgisme] est la maladie sociale qui touche notre société, qui engendre toutes ces différentes manifestations de marginalisation, qui rendent les gens invisibles et sans voix. On ne les inclut pas, ni socialement ni politiquement, car l’âgisme est omniprésent, si l’on approfondit un peu les choses. »

Le rapport de l’OMS a établi qu’une personne sur deux est âgiste, y compris les personnes âgées elles-mêmes, ce que l’on appelle l’autoâgisme.

Selon M. Rabheru, on peut lutter contre l’âgisme sur trois fronts : premièrement, en améliorant l’éducation, deuxièmement, en encourageant les activités intergénérationnelles et, troisièmement, en modifiant les politiques et les lois dans tous les secteurs. M. Rabheru, qui préside le conseil d’administration du Centre international sur la longévité au Canada, estime que, à l’échelle internationale, le monde a besoin de la convention sur les droits des personnes âgées et que, à l’échelle locale et nationale, les groupes communautaires doivent s’efforcer de mobiliser les différents secteurs pour qu’ils changent leurs approches.

Pour les gouvernements qui craignent que la convention ne leur coûte trop cher, M. Rabheru cite des dizaines d’études cliniques qui démontrent que la santé physique et mentale est bien moins bonne lorsqu’une personne est exposée à l’âgisme. Et puis, il y a les coûts financiers qui y sont associés. Une étude réalisée par la Yale School of Public Health et publiée dans The Gerontologist a révélé que le coût financier de l’âgisme dans le système de santé s’élevait à 63 milliards $ par année aux États-Unis.  

« L’étude a également démontré que, si l’on parvient à réduire le niveau d’âgisme, on peut réduire les coûts et améliorer la santé des gens », explique M. Rabheru.

Une protection supplémentaire pour les personnes âgées

Marta Hajek, directrice générale de Prévention de la maltraitance des personnes âgées Ontario, estime qu’une convention offrirait aux personnes âgées du Canada « une protection supplémentaire ».

« [Lorsqu’il s’agit] des questions touchant les personnes âgées, qu’il s’agisse des soins de santé, de la justice sociale ou du logement, il n’y a rien qui protège leurs droits », explique Mme Hajek. « La mise en place d’un mécanisme juridiquement contraignant, comme la convention des Nations Unies, permettrait de disposer d’un mécanisme, d’un petit quelque chose de plus ou d’un effet de levier plus important qui obligerait les gens à se comporter convenablement. Il est regrettable que nous devions voir les choses sous cet angle, mais c’est ainsi. »

Selon Mme Hajek, les personnes âgées sont souvent traitées comme si elles n’étaient pas indispensables, qu’elles ne contribuaient pas à la société et qu’elles représentaient un fardeau pour le système de santé.

« Nous sommes d’avis que la maltraitance n’a pas lieu d’être », dit-elle. « L’âgisme est la raison fondamentale pour laquelle la maltraitance se produit. Si nous pouvons lutter contre l’âgisme à l’aide de méthodes juridiques plus concrètes telles que la convention, nous pouvons renverser la situation. Nous pouvons changer le regard que l’on porte sur les personnes âgées. »

Sayward Montague, directrice de la défense des intérêts de Retraités fédéraux, s’est prononcée à plusieurs reprises en faveur de la convention à l’ONU.

« Les conventions ont fourni des cadres permettant d’élaborer et d’évaluer les lois et les politiques », a indiqué Mme Montague dans sa présentation de l’année dernière. « Elles ont favorisé le changement et ont permis d’améliorer les droits de la personne. Les conventions ne sont pas de simples slogans, et l’absence de convention a une incidence directe sur la santé des personnes âgées, les empêche de jouir équitablement des droits de la personne et nuit à la reddition de compte et au progrès. Il est temps d’aller de l’avant avec un instrument qui va changer les choses, une convention sur les droits des personnes âgées. »